Jour 10 : dimanche 21 avril 2013
Une île dans le ciel et un cheval mort
Ce matin encore, nous prenons le temps de déjeuner tranquillement en terrasse de notre cabine. De là où nous sommes, on peut voir au loin la Windows Section d’Arches, ce qui a quelque chose d’émouvant.
De jour le camping est vraiment marrant avec ses maisonnettes de bois côtoyant les immenses campings cars de « Cruise America », son magasin tout décoré, son entrée gardée par un chariot tout droit sorti de la conquête de l’Ouest, dans lequel trônent deux silhouettes de pionnier et surtout…
Admiration ou injonction au stop ?
Nous nous mettons en route vers Dead Horse Point, qui ne se trouve pas bien loin du camping (décidément très bien situé, entre Arches et Island in The Sky). L’entrée coûte 10$ par voiture, je n’ai pas regardé le tarif cycliste : il y en avait pourtant un bon nombre sur la route, pédalant courageusement sous un soleil déjà lourd.
Au lieu de prendre les points de vue dans l’ordre, nous trichons et fonçons vers le fond du parc (tels des lecteurs de romans policiers dévorés par la curiosité et pressés de connaître le coupable

), à, je vous le donne en mille, Dead Horse Point. Point que l’on peut admirer de son canapé dans, par exemple, l’épisode pilote de Mc Gyver, si si souvenez vous !
De là la vue est impressionnante sur les méandres du Colorado !
Alors que nous avançons vers le point de vue, un papi fringuant nous accoste sans crier gare et commence à nous raconter sa vie (les USA doivent être le pays rêvé des psychanalystes

). Ancien pilote de l’armée de l’air, il profite de sa retraite pour visiter son pays. Il nous explique qu’il arrive au bout d’une première période de 6 semaines de voyage (le veinard !) et doit interrompre ses pérégrinations pour assister à une compétition sportive dans laquelle concourt un de ses petits-enfants, après quoi il repartira sur les routes. Les distances parcourues pour insérer le tournoi du petit-fils dans son planning « parcs du sud ouest » laissent rêveur (si on aime la route).
Passé récemment au Grand Canyon, il y a vécu deux saisons en une journée : le canyon, couvert de neige le matin, s’est retrouvé quelques heures plus tard sous un soleil éclatant révélant la végétation et faisant fondre toute trace hivernale.
Nous quittons notre pilote qui espère visiter un jour la France : son métier l’a très souvent amené à parcourir l’Europe, mais bizarrement il n’a jamais posé le pied chez nous…même si c’est arrivé une fois à son avion (lui n’a pas eu le temps de descendre!

).
Nous nous promenons le long du point de vue, sacrément bien aménagé (tout est bitumé ! Ça facilite incontestablement l’accès mais pour le côté aventure on repassera), puis nous rendons à Meander Overlook situé juste à côté. En ce milieu de matinée, il est en grande partie dans l’ombre.
Au Visitor Center nous décidons de prendre l’East Rim Trail à destination de Basin Overlook, quand je repère le Nature Trail : 0.25 miles de balade jalonnée de panneaux numérotés indiquant les curiosités de la faune, flore et géologie du secteur…allons-y !
Une brochure en libre service (à rendre après lecture) est disponible au début du trail. C’est intéressant et amusant, on y apprend l’origine du desert varnish (laque noire ou brune visible à la surface de certaines falaises), le nom des animaux rôdant dans le secteur, et bien sûr tous les secrets de l’adaptation remarquable de la flore locale à la rareté de l’eau. Sur le genévrier, chaque feuille couvre en partie la précédente ; sur le mormon tea, les feuilles sont réduites à de minuscules écailles. Dans les deux cas le but est le même, limiter la perte d’eau par évaporation.
Quant aux feuilles tranchantes du yucca, elles lui servent de protection pour….ses racines, sources d’eau et de nourriture très convoitées des rongeurs du secteur.
Après cette pause culture, nous partons à la rencontre des bassins de potasse situés à l’est. Les taches d’un bleu vif tranchent avec la masse brune et grise des roches et le rouge du sol le long du trail.
J'ai comme qui dirait une passion pour les branches tarabiscotées et les troncs d'arbre morts. Mon père me ferra d'ailleurs la réflexion "tu t'es trimballée dans tous les sud-ouest des USA avec une branche morte et tu l'a prise en photo partout?"
La vue depuis Basin Overlook, sorte de promontoire rocheux, est magnifique !
M Pizza en pleine contemplation
Nous rebroussons chemin pour rejoindre Taléklé et quittons ce State Park, qui nous a plu mais ne nous laisse pas un souvenir impérissable : nous n’y sommes pas passés au meilleur moment de la journée (au lever du soleil la vue doit être splendide) et n’y avons sans doute pas consacré assez de temps, peut-être aurions nous été plus imprégnés par les lieux en longeant plus longtemps les falaises.
Notre destination suivante : le secteur Island In The Sky de Canyonlands, situé non loin de Dead Horse Point.
Nous nous arrêtons tout d’abord à Mesa Arch, la célèbre arche qui semble suspendue au dessus du vide. On arrive largement après le lever de soleil (sans blague) qui la met si bien en valeur, donc pas d’embrasement de la roche pour nous. Mais même en plein midi le paysage est à couper le souffle.
Nous nous asseyons un peu à l’écart pour pique-niquer. La foule est impressionnante, un vrai défilé : tous les âges, toutes las origines, avec une prédominance de…de… ? Chinois, bingo !
Nous rejoignons ensuite le fond du arc où se trouve Grand View Point Overlook. C’est le célèbre point de vue sur la « patte de dinosaure ». Je penche plutôt pour une patte d’oiseau : une sorte de Cracoucass sur nourri, comme dans les schtroumpfs, non ?
La route longeant l’ « empreinte » permet de se faire une idée du gigantisme de la chose. Ah oui quand même…
Je me fais la réflexion que je suis bien contente de la protection apportée par la barrière qui nous sépare du vide, quand un ranger l’enjambe allègrement afin d’aider son collègue à fixer un nouveau panneau.
Au secours, un fou!
Mon imagination démarre au quart de tour et je le vois déjà lâchant prise, hurlant pendant qu’il tombe implacablement dans le vide intersidéral qui s’offre à nos yeux, battant désespérément des bras puis s’accrochant vainement à la pancarte tombée avec lui, tel un naufragé à sa bouée…(oui il m’en faut peu

).
Fuyant cette vision d’horreur, nous nous avançons le long du sentier permettant de relier l’autre versant du plateau mais la morsure du soleil nous fait faire demi-tour assez rapidement. Pour la 1000è fois du voyage, je me demande : « mais comment font les visiteurs estivaux ??? »
Notre prochaine mission : contacter Lou Bartell de Canyonlands Ballooning, afin de confirmer le vol du lendemain. Dit comme ça, ça semble bête comme chou, pas vrai ? En fait ce banal coup de fil se transforme rapidement en quête épique… mon portable n’a pas de réseau. Celui de M Pizza, qui affichait une faible barre quelques minutes plus tôt, n’a plus de batterie. Nous gagnons le Visitor Center, où je demande au ranger de service où il me serait possible de téléphoner : ni une ni deux, le ranger compose le numéro sur son propre téléphone…et tombe sur le répondeur. Arg. Pendant ce temps M Pizza, qui se battait avec l’allume cigare, réussit à mettre son portable en charge…mais il n’a plus de réseau ! Au bout de quelques minutes le signal revient, et je parviens enfin à joindre Sandra Bartell et à confirmer le rendez-vous.
Cette formalité accomplie, nous partons vers la destination phare du jour : False Kiva !
Sur la route qui nous mène au parking du départ (celui de la randonnée Alcove Spring), je formule à voix haute les doutes qui me taraudent quant à la facilité de trouver notre chemin : je crains un début de Yellow Rock bis…et si on ne trouvait pas le point de départ ???
…je suis limite déçue que ce soit si repérable en fait !
On avance sans difficultés sur le chemin…
Rapidement nous croisons une dame, qui revient de False Kiva et nous donne ses impressions sur l’accès : ne pas y aller en cas de vertige, une partie est raide ! Quelques mètres plus loin, ce sont deux randonneuses assises sur un rocher. Elles nous expliquent être l’avant-garde d’un groupe de sept personnes… cinq minutes plus tard, on entend le reste de la troupe, qui surgit de derrière un buisson. Une autoroute je vous disais !

Mais ce seront les derniers, nous ne verrons personne d’autre, et peu à peu mes souvenirs de Google Earth reprennent le dessus…
En effet , lors de mes recherches sur la localisation de False Kiva, j’avais entré les coordonnées GPS sur Google Maps, puis était passé en mode Google Earth, qui fait apparaitre le relief…j’avais eu un mouvement de recul sur mon siège en voyant le lieu qui paraissait bien anodin sur la version 2D se muer en point accroché dans le vide à flan de falaise ..
Du coup, me sentant responsable de ce qui pourrait arriver, je noie M Pizza de conseils et précautions à prendre dans la caillasse pour ne pas se fouler une cheville, d’autant qu’on aborde le flan de la falaise.
Excédé par mes multiples "attention où tu mets les pieds!" "t’approches pas du bord!" "gaffe aux rochers!" "mais ralentis donc!", il finira pas me lancer "en l’occurrence j'ai moins peur de tomber que de me faire engueuler!"
Pour accéder aux ruines, il faut dans un premier temps descendre : c’est assez glissant mais les cairns guident sur la meilleure route. On remonte ensuite le long d’une alcôve. Impossible de deviner ce qui se cache au dessus de nos têtes…
La cavité semble immense, on se sent minuscules au milieu de ces rochers. Les corbeaux croassent et tournent au dessus de nous, le bruit se répercute sur les parois, je me sens un peu intimidée…
Rien de cassé?
C’est une parfaite entrée en matière pour la grotte, qui apparait sans crier gare.
On s’assied derrière les ruines et on profite du moment.
La vue sur Canyonlands est magnifique, il n’y a pas un bruit à part les corbeaux et le vent.
Dans une boîte métallique, un cahier retrace les passages des visiteurs des lieux : petits mots, dessins, simples signatures…
Nous restons environ une heure, comme coupés du monde, à admirer la vue, puis nous repartons. Le retour se fait sans difficulté jusqu’à la voiture. Pendant ce bref trajet, je pense au premier randonneur qui a découvert ces lieux, à ce qu’il a dû ressentir…
Nous n’avons pas beaucoup marché aujourd’hui mais le mélange chaleur + course dans Fisher Towers la veille + Needles au trot l’avant-veille donne un résultat sans appel : jambes lourdes et grosse flemme ! Du coup nous devenons des caricatures de fainéants :
On ne s’arrête qu’à Shafer Canyon Overlook (où M Pizza ne descendra même pas de la voiture). Regarder les véhicules remonter le Shafer Trail me fait penser à un circuit de petites voitures !
De retour à Moab, on jette notre dévolu sur la Moab Brewery. C’est une véritable usine là dedans ! La décoration est pour le moins originale : tout le matériel de Décathlon et du Vieux Campeur réuni sur les murs et le plafond d’un grand hangar transformé en restaurant !
Notre serveur, Keith, est très sympa. La nourriture est également une agréable surprise : hamburger sans oignons pour l’un, poulet en croûte pistache sauce framboise pour l’autre.
Bon appétit !
La salle est cependant ultra bruyante…je profite d’un saut aux toilettes pour profiter d’un peu de calme…ou pas : le sèche-mains fait un boucan de tous les diables, je le fuis à toutes jambes.
Dans la salle, un spectacle hors du commun nous attend : un groupe de 5 ou 6 personnes, assis à une table, pliés de rire, regardent l’un d’entre eux se poster à côté d’une jeep : le type est tout bonnement le portrait caché du mannequin posté dans le véhicule ! Casquette rouge, pull bleu sombre, barbe poivre et sel...le gars pousse le jeu jusqu’à enfiler ses lunettes de soleil. Des sosies !

je ris tellement que je n’ai pas le réflexe de dégainer mon appareil.
Ce n’est qu’une fois revenue en France que je réaliserai que le hasard avait bien fait les choses, voyez plutôt :
Le véhicule et surtout son conducteur
Le sosie !!!!
Pas de place pour un des desserts à la carte mais on craque pour une glace (je teste le parfum « very bee » à savoir miel et chocolat, les morceaux de chocolat tout en longueur étant sans doute sensés imiter les rayures de l’abeille ?) puis nous rentrons au camping nous reposer avant notre vol en montgolfière!
