Jour 11 : lundi 22 avril 2013
Flammes dans le ciel et dans la roche
Partie 2 Fiery Furnace
Très vite nous arrivons devant les falaises qui masquent le parc à notre vue.
La route s’élève, nous avec, et nous entrons dans...
ARCHES
L’entrée est gratuite cette semaine grâce au National Park Week. Nous nous dirigeons vers le visitor center pour confirmer notre présence à la visite guidée de Fiery Furnace réservée quelques mois plus tôt. J’ouvre le classeur qui nous sert de road book afin d’en extraire le document de réservation quand soudain…
Une fois le road book récupéré des mains de l’
hystérique enthousiaste randonneuse, nous nous avançons vers le comptoir où une charmante rangeresse nous accueille avec un grand sourire. Sa tête me dit quelques chose…
Apprenant que nous venons confirmer notre réservation, elle manque s’étrangler de joie (ils ont vraiment la pêche dans ce parc
) et nous tend les documents d’information et de mise en garde sur la randonnée : il est encore temps de nous raviser...nous la remercions pour sa prévenance mais lui confirmons que nous sommes prêts à courir les immenses risques que présente cette visite, grands fous que nous sommes…je m’attends presque à voir un panneau « attention ça mouille, ne faites pas un procès si vous avez les mains humides » à côté du robinet du mur voisin !
Nous sommes sur le point de quitter les lieux quand je réalise pourquoi le visage de mon interlocutrice m’était familier: cette longue tresse on ne peut plus « Lara Croft »…ce petit nom de Karen affiché sur sa chemise…bon sang mais c’est bien sûr, il s’agit de la guide de ZaÏus et Gizmo lors de leur visite de 2011 !
Je lui explique l’avoir vue en photo sur un forum français dédié aux USA, elle est ravie.
Nous reprenons Taléklé et découvrons enfin le célèbre parc. Comme nous avons peu de temps avant la randonnée, nous ne nous arrêtons qu’à Petrified dunes puis à Balanced Rock.
Je contemple, perplexe, cet énorme rocher posé sur sa fragile base. Comment un tel prodige est-il possible ? Un petit panneau explique le processus géologique : le rocher est composé d’une roche rouge relativement dure faite de sable compacté, le Sandstone, tandis que la base est elle constitué de Dewey Bridge (graviers et boues) plus fragile. La base en Dewey Bridge s’érodant plus rapidement que le rocher en Sandstone, on obtient le surprenant résultat que nous avons sous les yeux.
Nous reprenons la route...
Arrivés devant Fiery Furnace, nous rencontrons nos futurs compagnons de route, dont une hollandaise installée dans le coin avec ses deux filles adolescentes depuis plus de 20 ans. Elles sont toutes trois fort sympathiques et nous devisons gaiment jusqu’à l’arrivée de notre guide, qui fait bientôt son apparition…
Ranger Kait est originaire de l’Indiana. Elle a découvert les grands parcs de son pays à l’âge de 12 ans et en est tombée amoureuse, au grand dam de son père qui vouait une profonde aversion aux juniors rangers programs qu’elle suivait avec assiduité…
Kait contrôle sa liste : sur les 25 personnes inscrites, nous ne sommes que 13 ! C’est la première fois qu’elle voit ça. Nous aurons donc un petit groupe, quelle chance !
Vient une nouvelle mise en garde : re-images exposant la grrrrrande dangerosité des lieux, re-vérification des chaussures, re-contrôle des bouteilles d’eau, incitation à aller une dernière fois en WC…j’ai l’impression de revivre, 25 ans après, mes premières sorties scolaires !
Quand tout est parfait, Kait lève le pouce en signe de victoire/signal de départ et nous voilà tous partis gaiment en file indienne, manque que les pioches et on passerait pour les 7 (fois 2) nains.
Au bout de quelques mètres à peine le parking a disparu, et nous plongeons au cœur des formations géologiques caractéristiques du lieu.
Kait nous arrête et nous explique que 4 points structurent la visite.
LE TEMPS
Comme notre histoire personnelle, structurée par les événements qui nous arrivent, Arches a été façonné au fil du temps par de multiples transformations géologiques.
Kait pose son sac à dos et commence à en extraire tout le matériel explicatif nécessaire : des éponges, un globe terrestre gonflable, même une pierre de belle taille… un vrai chapeau de magicien, je m’attends presque à en voir surgir un lapin !
Devant nos yeux ébahis (pourquoi diantre se trimballer une telle pierre), elle nous explique qu’à l’origine tout ce barda restait dans Fiery Furnace, à l’abri d’un rocher. Mais depuis qu’un flash flood a tout emporté, les guides se doivent de garder le matériel avec eux.
Passées les premières explications, notre ranger se tourne vers nous : elle a besoin de 3 volontaires pour l’aider à illustrer un phénomène. Mes compagnons de route semblent pris de court, et le groupe ne comporte pas d’enfant, généralement friands de ce genre de chose. Chouette, je ne piquerai donc la place de personne !
Je lève la main avec enthousiasme. Ma mission : je suis un caillou !
Un peu plus loin, Kait nous montre différentes couches de roches : du sandstone et du Dewey Bridge. Tiens tiens… comme le rocher en équilibre ? Eh oui, le même processus est à l’œuvre.
Nous marchons jusqu’à un canyon, lieu choisi par notre guide pour développer le 2ème point :
L’EROSION
Plusieurs ouvertures percent les murs du canyon, dont un trou traversé par un rayon de lumière.
Kait nous explique le lent travail de l’érosion et de l’eau. L’eau imprègne peu à peu la roche : les molécules liant les sables entre eux, solubles dans l’eau, se dissolvent. Si le trou ainsi crée permet de voir le ciel et est d’un seul tenant, on obtient une arche, à condition que la longueur du trou soit d’au moins trois pieds (ce point à son importance, comme nous le verrons plus tard…)
En pleine explication…
Nouvel appel aux bonnes volontés pour mimer rien moins que l’érosion : 3 randonneuses se portent volontaires.
Après cet épisode géologique bien sympathique, un peu d’exercice. Au choix, demi-tour par le même chemin ou passage au travers d’une faille. Chouette ! On va jouer les apprentis spéléologues ! Quelques contorsions plus tard, nous voilà de l’autre côté.
Coucou!
Certains en veulent encore, et cherchent d’autres cavités à explorer
Nous continuons notre route jusqu’à l’arrêt suivant, bien caché entre les murs de roches, sous la protection d’une arche au nom évocateur de « Skull Arch ».
Skull Arch
FAUNE ET FLORE
Nous nous asseyons sagement en cercle autour de Kait, à côté d’une grande flaque d’eau qui semble profonde.
Notre ranger nous raconte alors une bien belle histoire, celle d’une étrange bestiole qui se cachait dans ces eaux troubles…
Tout cela commence par un quizz : à notre avis, quel est l’animal préféré de Kait présent dans le parc ? On se creuse la tête, des noms d’oiseaux fusent (mais sans aucune animosité
), on pense inévitablement aux charmants rongeurs… raté, tout le monde a faux. Il s’agit d’une petite crevette au nom porteur de promesses :
Tout un programme !
Kait farfouille dans son sac à dos aux mille merveilles et nous en extrait une photo de sa bestiole fétiche.
On se penche en avant pour mieux voir.
…
Dieu que c’est laid !!! (cherchez sur internet, vous verrez!) Mouvement de recul unanime des 13 présents. Pour un animal soit disant féerique, on tombe de haut…elles sont où les paillettes ???
Notre ranger éclate de rire devant notre réaction, et entreprend de nous expliquer en quoi ce petit animal est si extraordinaire. Au bout de quelques minutes nous sommes convaincus, fascinés par les mystérieuses propriétés de cette crevette…
La Fairy Shrimp est un animal qui existe dans différents endroits du monde, et notamment à Arches dans Fiery Furnace. Découverte il y a plus de 100 ans, elle a très vite surpris les scientifiques par son extraordinaire capacité de survie : pour lutter contre la déshydratation, les œufs de crevette disposent d’un mécanisme de synthèse d’un sucre très spécial, qui est secrété au fur et à mesure de la disparition de l’eau. Ainsi, au lieu de se dessécher, la structure de l’œuf est consolidée par les molécules de sucre. Elle peut ainsi survivre des dizaines d'années sans eau...
Ce n’est que très récemment que le monde scientifique s’est intéressé aux propriétés de la bestiole, réalisant (mieux vaut tard que jamais) les perspectives que ce super sucre offrait, dans le domaine des dons d’organes par exemple (permettant une meilleure conservation des organes pendant leur transport).
L’explication des tests réalisés sur les œufs de la crevette locale finit de nous convaincre que, même si la bête ne ressemble en rien à Cendrillon, elle mérite bien plus que certaines princesses à paillettes l’adjectif « fairy » :
Les œufs ont été soumis à des radiations, lancés dans l’espace…une fois remis en milieu favorable, leur éclosion se déroulait comme si de rien n’était !
Nous sommes conquis mais Kait nous achève en ajoutant que cette crevette éclot uniquement quand la situation est favorable : pas tous les œufs en même temps (ce qui épuiserait les ressources de la mare) mais chacun son tour, quand les conditions de vie sont bonnes…
N’en jetez plus !
La ranger nous désigne la mare située à côté de nous : c’est là que la Fairy Shrimp a été découverte à Fiery Furnace (Kait accompagnait les biologistes). Désormais il n’y en a plus du fait passage quotidien des visiteurs ; les différents objets tombés dedans ont modifié le PH de l’eau…
A la fin du speech de Kait, nous avons oublié jusqu’à l’existence des chipmunks et n’avons plus d’yeux que pour cette fabuleuse crevette : de vrai Bubbas !
Dommage, y’en a plus ici.
Nous passerons le reste de la balade à scruter toutes les flaques…
Notre guide nous annonce que nous avons accompli la moitié du trajet, les choses sérieuses vont commencer, nous nous enfonçons dans les profondeurs de Fiery Furnace…et c’est parti pour une imitation de Spiderman entre deux rochers. C’est rigolo, il faut avancer en opposition puis accomplir quelques sauts. Tout le monde a le sourire!
Et hop! Vous avez pigé ?
The Kissing Turtles : ne sont-elles pas mimis ?
Arrivés devant un beau genévrier, nous stoppons à nouveau, cette fois pour une étude de la flore.
Kait réclame un dernier volontaire afin de tester les baies. Un homme, plutôt silencieux jusque là, bondit hors des rangs : son heure de gloire est arrivée !
En définitive, l’abondance de baies bleues nous permet d’y goûter aussi. C’est dur, résineux, mentholé et astringent.
Nous admirons les feuilles : les cuticules se couvrent les unes les autres, comme des écailles, assurant une protection contre la chaleur. La forme tortueuse du tronc lui vient, elle, de sa capacité à …s’automutiler ! A force de torsions de sa branche, qu’il fait pousser totalement entortillée sur elle-même, il en vient à couper l’arrivée d’eau dans ce membre, qui dessèche alors et meurt. Cet arbre étonnant est donc surnommé « le Aron Ralston des arbres », comme le héros de 127h…charmant.
Il est par ailleurs capable de se déplacer, prenant appui sur la roche et coupant ses branches inutiles.
Je ne regarderai jamais plus les genévriers du même œil !
Après cet exposé dithyrambique, nous sommes muets d’admiration et contemplons avec révérence toutes les branches mortes du secteur…
Kait jette un dernier coup d’œil à l’arbre magique et lâche platement, cassant complètement l’ambiance :
« Quand même, si j’avais été un arbre, j’aurais choisi un autre endroit pour me planter, mais bon… »
On éclate tous de rire !
Nous nous dirigeons désormais vers le dernier arrêt…
Surprise Arch
LES ARCHES ET NOUS
Nous arrivons dans ce qui nous semble être le cœur de Fiery Furnace, où les finns au dessus de nous s’élèvent jusqu’à quasiment former une caverne. Les lieux nous intimident un peu, nos voix résonnent étrangement sur la paroi, nous nous mettons donc à chuchoter puis le silence s’installe. Au dessus de nos têtes, une immense arche. Nous prenons place dessous, certains s’allongent sur le dos pour mieux l’admirer.
Après un moment de silence, Kait, assise en face de nous, nous raconte une petite histoire.
Il y a quelques années, alors qu’elle se promenait dans le parc, elle décida de faire une pause pique nique sous une belle arche, Wall Arch. Elle y dégusta un excellent sandwich jambon-dinde, dont elle se rappelle encore le goût. C’était le 4 août 2008.
Dans la nuit du 4 au 5 août, Wall Arch s’effondra. Le lendemain, il n’en restait plus rien…
Kait contemple alors la grande arche au dessus de nos têtes, puis nous regarde en concluant : « c’est pour ça que vous êtes tous assis sous l’arche…et pas moi ! »
Elle nous explique enfin que le parc cache un « dirty little secret », secret qui lui permet d’atteindre le nombre ahurissant de 2000 arches.
En effet, souvenez-vous des critères de définition : il n’est nulle part fait mention d’une quelconque largeur minimale…
Elle désigne alors une sorte d’excroissance rocheuse en forme de côtelette dans le mur à côté d’elle. Si l’on se colle au mur, un décalage entre la formation et la paroi, d’une longueur de 3 pieds, permet de voir le ciel…c’est une arche !!!
Pork Chop Arch
Pour vous donner une idée de la taille
Elle n’a pas menti, Pork Chop se détache trèèèèèèèès légèrement de la paroi…
Une des personnes présentes, qui avait déjà visité Fiery Furnace 20 ans auparavant, se souvient que son groupe de l’époque avait été mis au défi de trouver la deuxième arche. »Nobody found Pork Chop ! »
Le moment est venu de quitter Fiery Furnace…Kait espère que la visite nous a plu, et nous rappelle que la préservation de ces lieux est de notre ressort. Par nos impôts, le paiement des droits d’entrée, notre participation à cette randonnée, nous faisons de ce parc ce qu’il est. A nous de décider…
Son petit discours est très émouvant, et c’est à regret que nous quittons ce lieu incroyable.
Très rapidement nous sortons de Fiery Furnace (on se croyait au cœur…pas du tout en fait !), où le temps a filé bien trop vite à notre goût.
Assurément, Fiery Furnace est un lieu à découvrir et notre coup de cœur du parc, en grande partie grâce aux explications claires, à l’enthousiasme, aux nombreuses anecdotes et au sens de la mise en scène de Kait !
Certains imaginent leur avenir en se rasant le matin…moi, je repense à Fiery Furnace chaque fois que je mange une côtelette !
Nous remercions chaleureusement Kait pour cette visite passionnante et partons à la découverte d’autres arches, notamment une bien étrange posée au bord du vide...
