Mercredi 23 avril 2014
Voyage au centre de la terre
”si j’arrive pas à remonter, tu iras chercher les secours ?"
On a dormi d’un trait dans ce lit moelleux, c’est donc en grande forme que nous nous dirigeons vers la salle à manger. Qu’y a-t-il de bon à se mettre sous la dent ? En libre service un buffet de fruits, différents pains dont un aux fruits secs, du gâteau, du beurre, et une délicieuse confiture de framboises.
Certes, certes…mais encore? Pour quelques dollars, une carte de plats plus consistants s’offre à nous. :P Cet hébergement étant de notre point de vue placé sous le signe du luxe, nous craquons pour deux huevos rancheros, délicieux mélange d’œufs au plat, galettes de maïs, saucisse, haricots noirs, viande hachée de porc, tomates et oignons. C’est excellent ! Nous les dégustons en nous amusant du ballet des poules dans la basse cour en contrebas.
Huevos rancheros
À regrets et sous un temps encore maussade, nous plions bagages et reprenons la route vers Escalante. Je suis d’autant plus ravie d’avoir eu la chance l’an dernier de découvrir ces paysages sous la lumière dorée d’une fin de journée ensoleillée !
Nous redécouvrons avec amusement certains points de vue (aux noms à première vue surprenants)
Nous nous engageons sur l’Old Sheffield Road, accès Est du site qui nous intéresse aujourd’hui. La randonnée semble en effet plus simple par là que via la Hole In The Rock Road.
La piste est globalement roulante, même si quelques passages sont un peu trop corsés à notre goût. Je n’aimerais pas être piégée ici par temps de pluie.
Nous roulons jusqu’au poteau qui barre le passage et garons N°3 non loin de l’arbre solitaire qui marque le départ de la randonnée.
Avec nous les préludes de balades se ressemblent : je piaffe devant pendant que M Pizza procède aux dernières vérifications de son sac.
Aujourd’hui les rôles sont inversés car le parking regorge de Moqui Marbles, ces billes de pierre aux teintes passant du noir à l’ocre. Je n’en avais jamais vu autant et contemple avec fascination celles cassées qui nous dévoilent leur cœur.
Certaines contiennent différents cercles de couleurs (rouge, orange, blanc cassé). D’autres semblent conçues sur le même modèle que les billes de terre de mon enfance.
M Pizza s’impatiente, je m’arrache à la contemplation d’une moqui au cœur teinté de rose et vert et nous nous engageons sur la piste tracée dans le sable.
Pendant 5 minutes nous suivons gaîment ce chemin, mais bientôt…plus rien ? Nous serions nous trompés ? Nous tournons et virons, cherchant des traces de pas, en vain. Après quelques allers-retours infructueux, nous abandonnons l’idée de repérer une quelconque trace et avançons en direction des coordonnées gps du point de chute.

Nous ferons tout le chemin au jugé, essayant de rester au maximum sur la roche car la marche dans le sable s’avère vite pénible.
Nous ne pouvons cependant pas éviter certains passages sur les dunes, assez désagréables avec le soleil qui s’est levé et tape un peu trop à notre goût (les nuages avaient du bon tout compte fait).
Une barrière de fil de fer nous coupe la route. Comme à chaque fois, nous sommes stupéfaits que des gens se soient lancés dans l’élevage dans un coin aussi désert…nous longeons le barbelé, cherchant un passage. M Pizza repère un espace plus grand qu’ailleurs entre fil de fer et sol et entreprend de s’y glisser après avoir enlevé chapeau et sac qui dépassaient.
Moi, j’ai la flemme…si j’enlève tout ça je vais devoir repositionner le tuyau de la poche à eau par la suite (gros travail, pas vrai?

). Je m’assois donc sur mon séant, baisse la tête au maximum et me tortille. Ça passe ! Je suis ravie que ma technique se soit avérée payante…
…jusqu’à ce qu’une démangeaison du postérieur me rappelle un léger détail : le sable, ça gratte!
Je passerai donc le reste de la journée à regretter ma superbe idée :ça ne paie pas d’avoir la flemme!
La progression est lente du fait des passages dans le sable. Nous évoluons dans un décor moins spectaculaire que d’autres coins que nous avons pu voir, mais qui me ravit néanmoins: j’aime les collines très colorées qui nous entourent, et je craque littéralement pour les marbrures roses et blanches qui strient le roc sur lequel nous marchons : un vrai slickrock de fille!

M Pizza est moins sensible aux charmes du paysage…
Il gardera d’ailleurs un souvenir moins ému que moi de cette randonnée, pour moi un des points forts du voyage.
On marche, on marche…
Soudain voilà qu’apparaît à l’horizon le point de repère que j’attendais : la lèvre supérieure du volcan !
L’excitation monte…
Nous fonçons dans sa direction, mais elle se perd à nos regards. On avance donc au jugé, c’est au premier qui trouvera !
Mais c’est que d’un coup ça grimpe sec !
Selon le gps on y est, mais on ne voit toujours rien.
Chenilles de pierre
Et puis sans crier gare, un pas de plus et nous y sommes.
Le Volcano, Islomania Dome, le Doughnut Maker, le Cosmic Ashtay, cet endroit étrange qui porte tant de noms, comme si chaque voyageur de passage avait tenté de le cerner un peu mieux. Il est là, à nos pieds.
Il a suffit de quelques pas dans sa direction pour que nous nous trouvions complètement coupés du vent : il n y a plus un bruit. Face à l’immensité de ce cratère de pierre, ce silence soudain est pesant. Je me sens un peu mal à l’aise, c’est presque trop grand, trop massif, on est minuscules en comparaison. Ce cratère doit bien faire une trentaine de mètres de large, et le rocher posé comme une île au centre de la mer de sable rouge dans les 10 mètres.
Nous nous asseyons un peu en retrait pour manger Je sens le trou béant derrière moi qui me défie.
Une fois le repas fini, M Pizza s’interroge : que fait-on maintenant ? J’aimerais fureter un peu autour de cette étrangeté rocheuse, mais lui serait plutôt partant pour un retour immédiat au parking, d’autant qu’il fait chaud désormais.
Ça me parait dommage de rebrousser chemin sans être allé au bout de la randonnée, sans découvrir cet étrange volcan depuis son cœur. Mais les marches taillées dans la paroi me paraissent fort lointaines de là où commence la pente ! Je ne me fais pas de souci pour la descente, au pire une belle glissade et hop. Mais je n’ai aucune notion d’escalade : serais-je capable de remonter par la suite la zone sans marches?
J’avance en position assise vers la droite, au dessus des marches…
Ira ?
Ira pas ?
Allez, je me lance, je glisse, et aussitôt m’injurie mentalement : quel besoin avais-je de venir me fourrer dans cette galère ???
Mon pied atteint la première marche (dûdju, c’est pas large ce truc, ou alors c’est ma chaussure qui est surdimensionnée). Je descends d’un pas mal assuré jusqu’au sol, que je foule avec soulagement.
Avant d’inciter M Pizza à descendre (on aurait l’air fins coincés tous les 2 en bas) je tente la remontée : aucun problème pour la partie dotée d’encoches, le reste devrait se faire en adhérence sans trop de souci.
M Pizza descend à ma suite, pas vraiment rassuré, non plus. Le silence qui règne en bas l’impressionne, il remonte donc rapidement.
Je veux découvrir les autres facettes du lieu et longe donc la paroi par la gauche en direction de l’énorme rocher. Toujours pas un souffle d’air. Les seuls bruits sont ceux de ma respiration et de mes pas, étouffés par le sable. Ici bas aucune vie…l’ambiance est dérangeante, presque étouffante, au fur et à mesure que je m’approche du rocher je chasse de mon esprit l’image du sable qui pourrait m’engloutir sans laisser traces, comme la lave.
C’est grisant, presque mystique. Si je devais créer un culte lié aux Esprits de la Terre, je choisirais cet endroit comme lieu de cérémonie.
Sur les parois, l’érosion dévoile peu à peu des moqui marbles, dans la belle lumière qui se reflète sur la roche teintée de motifs marbrés.
Je peine à atteindre le pied du rocher, m’enfonçant dans le sable.
Pour donner une idée de l’échelle…
Je continue le tour du cratère, admirant les fins motifs formés par l’action du vent et du sable sur les parois.
Il est temps de repartir. Voyons si je réussis aussi bien que M Pizza à m’extraire des entrailles de la terre…
J’ai pendant quelques secondes l’impression que mes pieds vont déraper mais en fait la remontée ne pose aucun souci.
Bon ben en fait je me suis fait une montagne d’une taupinière !

Quand je vous disais que je n’y connais rien en escalade…
(Je vois d’ici les personnes ayant déjà visité le Volcano ouvrir de grands yeux en se demande si on parle bien du même endroit).
Le bruit du vent me surprend, il était complètement occulté en bas!
Un dernier regard et nous voilà repartis. Adieu Volcano ! Voilà longtemps que j’espérais te découvrir, tu n’as pas déçu mes attentes. Et qui sait, peut-être un jour nous reverrons nous, ne serait-ce que pour parcourir la route depuis la Hole in The Rock Road ?
Nous reprenons notre chemin, nous fiant au point GPS de Number 3. Nous coupons d’abord au plus court puis, lassés de marcher dans le sable, nous écartons un peu pour privilégier la marche sur le slickrock
(de fille).
Nous passons parfois par le même chemin qu’à l’aller, croisant nos empreintes : la vie cachée du désert a déjà fait son œuvre car de fines empreintes de pattes recouvrent en partie les nôtres.
Cheminant vers la voiture, je repense aux nombreux noms parfois peu flatteurs que porte l’endroit que nous venons de quitter. Décidément je trouve la référence à un cendrier assez peu en accord avec la beauté étrange du lieu.
Je me remémore les propos d’un internaute qui regrettait cette appellation de "cosmic ashtray" un peu dégradante. Face à ses interlocuteurs qui s’insurgeaient, défenseurs de tous les noms existants, il avait pris en exemple les délicates cheminées de Bryce Canyon et proposé une nouvelle dénomination « so you wouldn’t mind calling Bryce Canyon the land of the standing cigarette butts ? »
J’avais trouvé l’exemple excellent !
Le Volcano restera donc pour moi le Volcano, nom qu’il porte à merveille.
Repartis vers 15h, nous sommes de retour au parking à 16h45.
Nous reprenons la piste en direction d’Escalante, non sans nous arrêter au passage à Head of The Rocks.
A l’entrée d’Escalante nous voici au Rainbow Country B&B où nous sommes chaleureusement accueillis par Catherine. Une famille qui vient ici tous les ans pour le spring break est en train de faire ses adieux. Grizz, le chien de Catherine, fait triste mine : il est habitué à randonner avec eux ! Nous avons une nouvelle fois droit à la désormais traditionnelle question : « are you from Minnesota ? » Eux, oui !
Comme nous avons encore un peu de temps devant nous, nous reprenons N°3 en direction de la Hole In The Rock Road : allons tâter le terrain en prévision de demain. La route n’est pas très agréable…nous sommes secoués en permanence mais l’avancée est facile, nous voilà rassurés.
Tant que nous y sommes, poussons jusqu’à Devil’s Garden. Difficile d’imaginer que des sites intéressants se cachent de part et d’autre de la piste tant la vue est morne. Rien à voir avec la belle Cototnwood Canyon Road !
Nous arrivons au jardin du Diable…et tout d’un coup surgissent de nulle part des figures fantasmagoriques, dorées par le soleil couchant!
Nous déambulons entre les rochers bizarres et rigolos, on croirait se promener dans un échiquier géant (d’un genre un peu particulier).
Devant les figures emblématiques du lieu, un couple est en plein shooting et déploie une palette de poses plus amusantes les unes que les autres…en voilà une idée qu’elle est bonne !
Nous les imitons et jouons avec nos ombres, la lumière s’y prête à merveille.
L'homme spaghetti qui se fit rouler dessus par un rouleau compresseur
L'endroit n'est pas bien grand mais nous réussissons à nous perdre. hou hou, M Pizza...où est-il passé?
Ah, le voilà!
Après une bonne heure passée sur place, nous repartons vers Escalante où nous cherchons un lieu pour nous sustenter.
L’Escalante Outfitters a une très bonne réputation mais…il y a un mais de taille : leur spécialité ce sont les
PIZZAS ! Vu mon expérience désastreuse de l’an dernier à Page, j’hésite à jouer encore une fois les cannibales, ça ne m’avait vraiiiiiment pas porté chance.
L’aspect mignonnet du chalet fait fondre mes réticences et nous poussons la porte du restaurant. Nous sommes immédiatement conquis par l’ambiance décontractée et chaleureuse des lieux. Autour de nous, les randonneurs en chemise à carreaux au look bourru dégustent des pizzas alléchantes.
Les patrons ont de l’humour, leurs plats portent des noms du coin. M Pizza choisit une Spooky Pizza (hors contexte ça ne fait pas envie comme nom

) tandis que je compose une calzone artichaut – pesto – apple smoked bacon.
La pâte est croustillante à souhait, la garniture très goûteuse, on se régale : une des meilleurs pizzas qu’on ait pu manger jusqu’à présent !
Ravis de cette belle journée et de ce sympathique repas, nous craquons sur deux t-shirts de la boutique du restaurant (« Hole in The Rock » et « Polygamy Porter ») puis rejoignons le B&B endormi.
A demain! (signé: les baroudeurs efféminés)