Jour 13 : mercredi 24 avril 2013
Au pays de l’arc en ciel endormi
Ce matin, breakfast dans une petite salle claire à côté de la mormone de l’accueil. Je repère immédiatement un ustensile métallique du plus bel effet, c’est donc décidé : au menu pour moi, ce sera gaufres maison ! :P Par contre pas de thé…caramba ! Encore raté! Quand j’interroge notre hôtesse made in Utah , elle m’explique que si…c’est juste qu’il porte également le nom de coffee.
Et là je me sens rien bête, réalisant un peu tard que j’ai toujours eu du thé à disposition dans les hôtels que nous avons traversés !!!
M’enfin fallait deviner.
Devant, la gaufre. A droite, le diplomat coffee=thé
Ça me tentait beaucoup moins que la gaufre bizarrement
Après un bon petit déjeuner, nous nous rendons à la ferme du coin, repérée quelques temps auparavant sur internet : Mesa Farm Market.
Je contemple avec émotion les miches de pain dorées juste sorties du four…
nous y achetons du fromage et un beau pain tout frais. Le propriétaire avec qui nous discutons un peu nous explique qu’il a appris à les faire avec l’aide de français venus dans le coin, puis nous demande si nous connaissons un certain Gérard Klein.
Ainsi parés pour le déjeuner, nous reprenons Taléklé à destination de Capitol Reef. On passe d’un décor lunaire composé de montagnes grises à une véritable explosion de couleurs…cet endroit porte bien son nom, donné par les indiens paiutes, de pays de l’arc en ciel endormi !
Les falaises se rapprochent, nous longeons une belle rivière bordée de végétation que l’on apprécie particulièrement après le paysage aride de la région de Moab. Il ne nous manque plus qu’un peu de soleil, obstinément caché derrière un voile de nuages gris…
Au visitor center, nous remarquons un attroupement autour d’une maquette représentant le parc : chic, une conférence géologique donnée par une ranger vient de commencer ! Nous nous joignons au groupe.
Capitol Reef, il y a 230 millions d’années, se trouvait sur la côte Est de la partie Ouest (faut suivre
) des USA. Cet océan primitif s’est retrouvé enfermé, et le même phénomène d’évaporation des eaux que subit actuellement la Mer Morte s’est produit. Voilà pourquoi on découvre désormais dans le parc des fossiles marins notamment ceux d’ancêtres des requins, de plésiosaures (proches du célèbre Nessie)... Nous passons de main en main une huître fossilisée et une dent de requin.
Les différentes couches de sédiments qui forment la composition de roches du parc expliquent la variété des couleurs visibles. Mais d’où vient leur positionnement actuel, sorte de mille-feuilles déstructuré? (Ça faisait longtemps que je n’avais pas fait une comparaison alimentaire, moi…
)
La plaque pacifique, plus lourde que la plaque nord-américaine, est entrée en collision avec cette dernière. Par un phénomène de subduction la plaque la plus lourde est passée sous la plus légère, la soulevant et créant tremblements de terre, éruptions et montagnes.
Notre ranger nous précise d’ailleurs que ça continue encore actuellement. Facétieuse, elle nous demande si nous le sentons !
C’est alors l’érosion qui entre en jeu : les pluies, le vent et la friction du sable créent un arrachement des roches, ce qui a fait apparaitre les diverses couches sédimentaires.
Et voilà le travail!
Tous ces éléments retirés à Capitol Reef partent avec la pluie et ruissellent vers le Lake Powell, la Californie et le Pacifique. Notre ranger a alors cette très jolie phrase :
Elle nous met enfin en garde contre les risques de flash floods. II y en a eu récemment, avec les effets dévastateurs qu’on leur connait mais également une conséquence plus heureuse : la création éphémère, au contact des multiples teintes des roches du parc, de cascades de différentes couleurs ! Arc en Ciel, vous disiez ?
Nous achetons un petit livre de géologie puis allons nous renseigner sur l’accès aux randonnées. Conséquence des flash floods, Hickman Bridge est inaccessible…zut ! Je n’avais cette fois pas prévu de plan B !
Un peu déçue, je demande conseil à notre interlocutrice pour une balade de remplacement. Elle nous recommande la découverte de Cohab Canyon, au départ de la Gifford’s Farm. Vendu, on s’y rend donc.
Nous garons Taléklé en face de la boutique, réservant la visite pour notre retour. Le sentier est juste un peu plus loin sur la route, côté gauche. La pente monte sec, mais rien de difficile car nous ne cessons de multiplier les arrêts afin de profiter de la vue au fur et à mesure que l’on s’élève.
Oui, non, je sais ce que vous allez dire, c’est pas ça la vue, vous l’aurez au retour, là c’était vraiment trop gris pour rendre quelque chose donc je vous donne des fleurettes à la place.
En haut, un couple doit se méprendre sur nos pauses et, nous pensant sans doute au bout du rouleau, nous vocifère de tonitruants« vous y êtes presque ! Courage ! Encore un effort !!! ». Je suis prise d’un fou rire, pendant quelques secondes je me crois dans « Le château ambulant » de Miyazaki, quand Mamie Sophie , arrivée en haut de l’escalier du palais, encourage sa rivale à monter les marches…
Très vite la pente s’adoucit, et nous admirons le paysage verdoyant, oasis de fraîcheur nichée dans un désert de rocailles.
Quelques pas plus loin nous pénétrons dans le canyon caché. Tout simplement magnifique !
La marche est aisée, entre les parois de roches que même la grisaille ambiante ne parvient pas à rendre ternes, dans une dominante de rouge et de jaune. La végétation occupe également les lieux, nous découvrons de nombreux buissons et fleurs poussant derrière de surprenantes pierres noires rondes comme des boulets de canon (d’origine volcanique ?).
Les parois qui nous entourent sont parfois percées de multiples trous comme un gruyère, parfois striées comme des gaufrettes…nous sommes sous le charme !
Un cul de sac
Couleurs…
Arrivés aux deux beaux points de vue sur Fruita, le soleil perce enfin un peu.
Quelle palette de couleurs ! Assis sur de gros blocs jaune vif, nous regrettons de ne pas avoir pris le pique-nique, le coin aurait été idéal.
La randonnée peut se poursuivre mais il fait faim…ce sera donc demi-tour pour nous.
Dans la descente nous croisons Keith, natif de l’Oregon. Comme de jeunes mamans au parc en viennent tout naturellement à échanger sur leurs bambins, nous parlons…voyages, classique !
Keith a énormément baroudé mais uniquement sur le sol américain, il rêve de visiter l’Europe…
Quand nous lui détaillons notre parcours, il tique en apprenant que nous ne consacrerons qu’une journée à Zion : trop court ! Cependant après un temps de réflexion, notre interlocuteur ajoute que vu que nous en avons plus fait à Arches en un jour que lui en une vie (il reporte sans arrêt la visite de Fiery Furnace), il nous donne sa bénédiction pour notre programme…ma foi nous en sommes bien aise.
Nous le précédons dans la descente, profitant des rayons de soleil qui avivent le rouge et le jaune de la roche. Les paysages découverts à l’aller dévoilent alors toute leur beauté. Merci Madame la Ranger de l’accueil pour votre bon conseil !
Retour à l’entrée du canyon
J’adore
Lui moins: "Bon, quand t’auras fini de mirer la paroi on pourra redescendre ?"
De retour à Fruita nous visitons la jolie Gifford Farm, témoignage de la vie des pionniers :
Puis nous passons dans le petit magasin. Confitures, conserves de légumes au vinaigre, sauces, livres de cuisine, tabliers, et surtout…des pies !!!
Je jette mon dévolu sur une tarte à la rhubarbe, tandis que M Pizza en choisit une aux fruits rouges.
Ainsi parés, nous nous installons devant la boutique, sur une des tables de pique-nique à l’ombre des arbres. Les pieds dans l’herbe, un ruisseau qui chantonne à côté, un rayon de soleil et quelques oiseaux à l’affût de nos restes nous voletant autour…l’endroit est parfait, à l’image de notre menu. Tomates cerises et petites carottes accompagnent à merveille les provisions achetées ce matin : pain frais doré et croustillant et fromage à la croûte odorante.
Un gourmand
Aaaaaaah ce fromage…
La tarte, arrosée d’un petit thé, constitue un dessert parfait pour clore ce bon repas. Si ma rhubarb pie est excellente, M Pizza est un peu déçu par la sienne, trop sucrée.
Comme je retourne une dernière fois à la boutique afin de savoir si les emballages en aluminium des pies font l’objet d’un recyclage, je tombe sur…Keith, qui vient d’achever sa descente - et une pie dans la foulée -. Il me confie faire une réaction au gluten mais ne pas pouvoir résister aux tartes vendues en ces lieux ! Nous papotons quelques minutes puis je le salue et quitte le magasin, non sans avoir remis ma barquette à la vendeuse qui se présente à moi comme une « avid recycler » (il n y a pas encore de conteneur adapté dans le parc mais qu’à cela ne tienne, elle emmènera les barquettes chez elle !)
En partant j’entends Keith qui tente de la brancher, lui expliquant comment nous nous sommes rencontrés dans Cohab Canyon. Visiblement ça a l’air de la passionner, faut dire que c’est vendeur comme thème…
Nous nous engageons sur la scenic drive dont l’entrée est gratuite en cette semaine des parcs nationaux. Un guide des différents arrêts est en vente au Visitor Center au prix de deux euros, mais on peut également le consulter sur internet.
Le ciel est désormais d’un bleu uniforme. De ce fait les couleurs de la roche éclatent, l’arc en ciel se réveille sous nos yeux…un régal ! Chaque formation rocheuse, chaque butte nous parait plus belle que la précédente.
La route nous conduit dans des narrows, nous voilà soudain tout petits, serpentant entre de hautes falaises…impressionnant et surtout très amusant !
Arrivés au bout, nous ne résistons pas à l’envie de faire quelques pas dans Capitol Gorge afin de jeter un œil au Pioneer Register. Nous déambulons dans le sable, entre deux hautes parois rocheuses. L’endroit est d’autant plus agréable que l’on y est au frais, à l’abri des rayons du soleil.
Devant nous, une mère indique à ses jeunes enfants des peintures sur le mur : trace de main, forme humanoïde, pas de doute ce coin est fréquenté de l’homme de longue date. Nous assistons alors à un spectacle…surprenant.
La main: jusque là tout va bien...
Nous scrutons les parois à la recherche des noms gravés par les habitants des lieux. Ceux datant de 1911, sur la droite, sont les plus lisibles (une fois qu'on les a trouvés) : on peut notamment y voir le nom d'un certain Sam Gifford.
En zoomant…
Vision réelle
Les patronymes tracés plus loin sur la paroi d’en face sont plus difficiles à décrypter, notamment grâce à quelques vandales qui n’ont rien trouvé de mieux à faire que d’ajouter une touche personnelle.
Nous aurions bien aimé poursuivre notre promenade jusqu’aux tanks mais nous devons être à Bryce Canyon ce soir (ENFIN nous sommes raisonnables et obéissons aux conseils, injonctions et suppliques de la mère de Jake, notre logeur de Page
).
A regrets, nous faisons demi-tour en direction de Fruita, en admirant les belles roches du parc sous la lumière de la fin d’après-midi. Camper ici en été, non loin de la rivière, à côté du verger chargé de fruits…ça me convaincrait PRESQUE de tenter le voyage en période estivale .
Nous avons adoré ce bref aperçu de Capitol Reef, si injustement laissé de côté…mais étant d’un naturel jaloux, je suis ravie que nous ayons savouré cette pépite sans cohue !
Nous reprenons la voiture et finissons de traverser le parc. Quand nous atteignons Torrey, je ne suis pas vraiment là, mon cœur traîne encore du côté du pays de l’Arc en Ciel Endormi.
Changement de décor
J’avais lu bien des merveilles sur la scenic byway 12 qui longe le Grand Staircaise Escalante National Monument, reliant Capitol Reef à Bryce Canyon. Qu’en est-il réellement ?
Nous nous engageons sur cette route et entamons la section entre Boulder et Escalante, alors que le soleil approche de l’horizon et nimbe les alentours d’une lumière dorée. Je regarde autour de moi…et me retrouve bouche bée, parfaite incarnation d’un poisson rouge.
C’est tout bonnement sublime.
Je ne dis rien mais mon visage doit parler pour moi : M Pizza, après un coup d’œil à mes yeux écarquillés, me propose un arrêt sans attendre le point de vue. Inutile de dire que je ne me fais pas prier et me jette hors de la voiture.
Je me retrouve plongée dans un univers de lumière jaune, orange, blanche et rose, à moins que ce ne soient les roches…autour de moi des formes fantasques, un bestiaire de pierre, en fait je crois que je suis sur la carapace tachée par les ans d’une immense et antique créature endormie ici et peu à peu fossilisée. Pendant un instant j’ai l’illusion que le ruban de route grise qui sinue entre les bosses et se perd à l’horizon est lui aussi vivant, tel un placide serpent qui vagabonderait sur le dos d’un gigantesque éléphant bossu. Je me tords le cou à tourner sur moi-même comme un derviche, j’en oublie mon appareil photo, je me retiens pour ne pas sauter sur le rocher de devant, puis le suivant, jusqu’à…peu importe où d’ailleurs.
M Pizza, qui, plus prudent que moi, attendra le point de vue pour descendre, laisse moins son imagination s’emballer mais n’en est pas moins fortement impressionné par ce qui nous entoure.
Nous contemplons longuement le paysage depuis Head of The Rocks Overlook mais devons bien trop vite reprendre la route. J’ai un pincement au cœur en pensant que quelque part juste à côté de nous se cache Yellow Rock, trop brièvement découvert en début de séjour…tout ça nous donne furieusement envie de changer de plans pour partir randonner entre les roches multicolores. Et tandis que nous dépassons Caineville, une certitude s’impose à moi : le jour où nous reviendrons, le Grand Staircaise occupera la place du roi dans notre itinéraire, quel qu’il soit …
La petite ville d’Escalante, traversée en coup de vent, pas bien grande mais qui nous semble mignonne comme tout -habitués que nous étions aux rangées de stations-services et de motels- pourrait être un excellent point de chute.
Nous arrivons à Bryce Canyon peu après la tombée de la nuit. Sous la faible lueur du crépuscule, nous distinguons vaguement les forêts de hoodoos dans lesquels nous plongerons demain.
Notre hôtel est le Bryce Canyon Pines, un peu au-delà du parc. J’avais lu d’excellentes critiques du restaurant attenant, aussi la première chose que nous faisons en arrivant est de demander s’il sert encore. Réponse positive, juste à temps : on n’entre plus après 20h30 et il est précisément…20h24 !
Autant dire que nous laissons tous les bagages en plan et galopons vers l’entrée.
Nous déboulons dans le restaurant juste avant l’heure fatidique, enchantés de notre bonne fortune. La serveuse chargée du placement nous accueille d’un œil morne, apparemment bien moins ravie que nous de notre performance. « Et deux gus de plus à servir…groumphe groumphe » semble-t-elle penser tandis qu’elle nous guide sans un sourire vers le fond du restaurant.
Le lieu -contrairement à la serveuse- est très agréable : dominante de bois, banquettes confortables, photos de familles et de cowboys dans des teintes sépia, bref il règne ici une ambiance vieil ouest fort sympathique. Comme je m’installe sur la banquette, admirant une des photos, M Pizza me fait remarquer que j’ai fait tomber mon blouson par terre. Je me tourne vers l’allée et…me retrouve nez à nez avec la deuxième serveuse. Celle-ci n’a pas un regard pour moi, en effet elle contemple mon vêtement qui visiblement lui barre le passage, posé comme il est au milieu de l’allée. Je m’empresse de le ramasser avant qu’elle ne se décide à le piétiner (option la plus probable au vu de son regard
). Bon, normal qu’elle ne l’ait pas ramassé me dis-je, elle avait les mains prises et…ah ben non en fait elle avait les mains vides. Ok ok. Eh bien, sacrée ambiance ici les amis !
En attendant nos plats, nous nous régalons de pain et de beurre mis à notre disposition. Bientôt le T-bone de M Pizza et ma truite font leur apparition. Le riz est truffé de grains de maïs, marrant. La viande est au goût de M Pizza, ma truite est correcte, un bon repas, sans plus. Comme les pies du lieu sont très réputées, nous nous laissons tenter pour la deuxième fois de la journée. Verdict, elle est bonne mais pas au niveau de la tarte à la rhubarbe de Capitol Reef.
Repus, nous quittons ce joli restaurant (et ses serveuses limite aimables) pour gagner notre chambre, en même temps que nos voisins qui rentrent de Bryce Canyon. Ils nous recommandent chaudement la randonnée Queen’s Garden-Navajo Loop. Ça tombe bien, c’est au programme de demain !
