Jour 6: Mercredi 17 avril 2013
La malédiction de la pizza
Attention!
détails peu ragoûtants, âmes sensibles et lecteurs en pause repas s’abstenir.
Vous l’attendiez ? La voilà !!!! (Avec une pensée spéciale pour 22Sky33 qui réalisera peut-être ainsi que mon avatar précédent n’était pas si écœurant…)
Ce matin pour la première (et heureusement dernière) fois du voyage, le réveil est vraiment difficile. J’ai eu froid toute la journée d’hier, ce qui n’est pas l’idéal pour le système digestif, et le fait de choisir la veille au soir un plat léger, digeste et sain (la fameuse pizza) n’a pas arrangé les choses. Du coup je me suis réveillée au milieu de la nuit pas franchement bien, la pizza a refait le trajet en sens inverse et après ça j’étais KO. Impossible de me rendormir…
Au matin, j’ai le ventre en vrac. Je me force à grignoter une banane mais au vu des réactions de mon estomac ce n’est pas un bon plan du tout. Je renonce à avaler quoi que ce soit d’autre et assiste passivement au chargement de la voiture, affalée sur le canapé telle une méduse échouée, maudissant en mon for intérieur le jour où l’idée funeste de choisir « Pizza » comme pseudo s’est présentée à mon esprit tordu. En plus comme me fait remarquer M Pizza, « tu n’es même pas particulièrement fan de ce plat ! »…Ben encore moins maintenant !

(Je rassure les futurs clients de la Canyon King Pizzeria, M Pizza se portait comme un charme, le problème ne venait donc pas du plat en lui-même, allez-y sans crainte !)
Ce n’est qu’à 9h30 que nous nous apprêtons à partir.
Alors que nous sommes sur le point de monter dans Taléklé, une forme immense masque la lumière du soleil. Soit la fin du monde est arrivée avec 4 mois de retard, soit il y’a quelqu’un de grand derrière nous. De très grand. De très grand et baraqué.
C’est Jake, que nous n’espérions plus voir !
Il nous demande comment s’est passé notre séjour sur Page et nous explique qu’il a beaucoup de clients français. Le comportement de nos compatriotes l’amuse : contrairement aux américains qui, selon ses dires, aiment croiser sur leur lieu de vacances d’autres touristes venant du même endroit qu’eux, il semblerait que les français ne raffolent pas toujours de ce genre de retrouvailles. Il se marre en se souvenant d’un jour où tous ses appartements étaient occupés par des français : ils mettaient tout en œuvre pour éviter soigneusement de se retrouver nez à nez avec leurs voisins !
Nous décollons enfin pour Horseshoe Bend. A la station essence où nous faisons le plein, M Pizza, visiblement impressionné par la carrure de notre hôte, exprime notre pensée commune : « Beau bébé, Jake ! »
Arrivés au parking du célèbre fer cheval, je ne me sens vraiment pas au mieux…visiblement une partie de la pizza n’a pas fini de faire la bamboula avec mon estomac. Selon les dires de M Pizza, j’ai un teint pas frais du tout, il me demande donc si on ne ferrait pas mieux de sauter cette étape pour que je me repose. Je refuse : une pauvre petite marche de 10 minutes dans le sable ce n’est quand même pas la mort ! Cette pizza se croit très maligne mais elle n’aura pas le dernier mot, non mais !
Au départ…on ne voit rien.
Difficilement, je commence la marche. Moi qui d’ordinaire gambade comme un cabri, je peine à mettre un pied devant l’autre. Ce sentiment de faiblesse est très désagréable, d’autant plus qu’à part des rhumes à répétition l’hiver je ne suis quasiment jamais malade : pourquoi faut-il que ça tombe toujours pendant les vacances ??! M Pizza se cale gentiment sur mon rythme de tortue et tout le monde nous dépasse allègrement. Je me sens vidée et suis obligée de faire régulièrement des pauses, à bout de souffle !
Je n’ai pas regardé combien de temps nous avons mis pour arriver au point de vue mais à cet instant je n’avais qu’une pensée : « il va falloir refaire le même chemin en sens inverse !!! ».
Nous nous approchons du bord au milieu de la foule qui occupe déjà les lieux et admirons le spectacle, sous les lueurs changeantes du ciel où le soleil joue à cache-cache avec les nuages.
Très impressionnant cet immense bras de roche qui se dresse devant nous comme un château géant entouré de ses douves !
En quelques secondes les nuages se sont éloignés…
A côté de nous un couple a apporté des jumelles et désigne à un homme à côté d’eux une minuscule tache blanche dans l’eau : un bateau. Ah oui quand même…
Nous restons un peu sur place pour profiter de la vue. Je n’ose pas me pencher près du bord, peu désireuse de tester la résistance actuelle de mon corps face à la position « ventre plié en deux » : je ne pense pas que les gens sur le bateau en bas apprécieraient si ça dégénérait…
Vient le moment de se lancer sur le chemin du retour. Je suis obligée de m’arrêter à plusieurs reprises et de m’asseoir, ce que je déteste d’autant plus que j’ai l’étrange manie d’avoir horreur de me faire doubler quand je marche (atavisme familial du côté paternel, au grand désespoir de ma mère et de M Pizza qui se retrouvent parfois à devoir cavaler comme des malades pour nous suivre mon père et moi…M Pizza se souvient toujours avec émotion d’une randonnée sur Diamond Hill dans le Connemara où il aurait frôlé la crise cardiaque suite à une ascension au pas de course, ben voui je ne voulais pas me faire rattraper par le couple de français derrière nous…comment ça c’est complètement idiot comme comportement ?

).
Pour le coup je suis servie…TOUT le monde nous passe devant, du bambin de 2 ans pas assuré sur ses jambes à la mamie en déambulateur. Le summum étant le triste regard compassionnel que me lancent certains des marcheurs : ils doivent me prendre pour une grande malade qui, se sachant condamnée, a voulu voir Horseshoe Bend avant de mourir !
Nous arrivons ENFIN à la voiture, au terme de cette épuisante marche, la plus dure de tout le séjour, un comble ! Ah on s’en souviendra du fer à cheval…
Au final je n’ai pas apprécié ce site à sa juste valeur. En plus de mon état, deux éléments ont joué : trop de monde, un vrai boulevard, et aussi la distance du site qu’on admire mais qu’on ne peut pas toucher du doigt. Ce sera une constante au cours de ce voyage, nous serons beaucoup plus séduits par les lieux moins fréquentés dans lesquels nous pourrons randonner et être en contact direct avec la pierre, qu’avec les points de vue si formidables soient-ils.
Bon ça n’a heureusement pas empêché M Pizza de beaucoup aimer Horsehoe Bend.
Nous quittons Page à destination du Canyon de Chelly. La marche ne m’a pas réussi, je tremble comme une feuille. Au bout d’une demi-heure de route je tire la sonnette d’alarme : un arrêt s’impose ! M Pizza a à peine le temps de s’arrêter sur le bas-côté, j’ouvre la portière et rend à nouveau tripes et boyaux.
Après cet événement bucolique à souhait, ça va mieux mais je me sens très faible et n’ose pas boire. M Pizza s’arrête à Kayenta à la recherche d’une pharmacie mais le GPS n’indique qu’un dispensaire. Il se rend également au supermarché mais, dans la panique, ne trouve pas le rayon médicaments.
Pendant ce temps j’ai sorti mes affaires « dodo en avion » (masque, boules quiès, couverture), je me cale dans mon siège (faut avouer qu’il est confortable) et m’endors.
Le sommeil et la diète seront efficaces, à mon réveil je ne suis pas au top mais je ne tremble plus, mon estomac me laisse en paix et j’écoute avec intérêt M Pizza me conter le trajet entre Kayenta et Chinle. Non seulement les paysages ne sont semble t’il pas extraordinaires mais en plus les éléments s’en sont mêlés (nuages de poussière). J’imagine que faire les 3h30 de route dans ses conditions avec moi malade à côté ne devait pas être une partie de plaisir…
Nous traversons Chinle. La pauvreté des habitants fait peine à voir, les Indiens vivent dans des habitations de bric et de broc…par contre chacun a son quatre-quatre, impressionnant. Très vite nous atteignons le Visitor Center du Canyon de Chelly sous un ciel bas et gris. Nous y récupérons une carte des lieux puis prenons la direction du Spider Rock Campground où nous allons passer la nuit : nous y avons réservé le medium hogan. Dormir à Chinle ne me tentait pas, par contre passer la nuit dans cette habitation originale découverte dans le carnet de Boya avait l’air bien sympathique ! Nous rejoignons donc directement le camping, un peu avant la jonction avec Face Rock Overlook.
Nous sommes accueillis par Katie Smith qui gère le camping avec son époux Howard. Elle est adorable, toute souriante. A côté d’elles deux fillettes attendent dans la petite cabane que leur mère vienne les chercher. Elles tiennent à la main une gigantesque bouteille de soda, presque aussi grande qu’elles. Décidemment je ne m’y fais pas !
Katie nous indique le hogan et nous garons Taléklé devant cette étrange cahute de bois et de terre. A l‘intérieur, les couvertures que nous avions demandées ont été déposées sur le matelas posé à même le sol en terre battue. Les autres fournitures sont un poêle à bois, une lampe à huile placée sur une petite table pliante, une table basse. De grosses branches de bois servant de porte manteaux/étagères rustiques complètent le décor.
Sympa, non ?
Bon faut pas chercher un 4 étoiles, c’est sûr !
M Pizza me suggère de me reposer un peu. Devant mon regard peu enthousiaste, il propose que nous fassions juste quelques points de vue. Nous nous rendons alors à Spider Rock Overlook étant donné que nous sommes désormais plus proches du bout du canyon que de son entrée.
Nous partons donc en direction du point de vue le plus célèbre du lieu. Quelques minutes de voiture et 2 minutes de marche plus tard, nous y voilà. Au sommet des flèches rouges que nous contemplons désormais vivrait la Femme Araignée (Spider Woman) à l’origine du monde selon les Navajos. Même si la luminosité est médiocre, la vue est splendide sur la roche d’un rouge de sang et la végétation verte et grise.
Spider Rock
Alors, vous les voyez les ossements des enfants navajos désobéissants qui ont été emportés au sommet du rocher par la Femme Araignée ?
Je me sens mieux et j’ai vraiment envie de toucher d’un peu plus près cet endroit surprenant, aussi nous nous rendons au point de départ du White House Trail, seule randonnée autorisée sans guide dans le canyon. Un couple est en train d’achever la remontée. Je demande à la dame combien de temps leur a pris leur promenade (comme ils avançaient à un rythme tranquille cela me semble un bon indicateur). Elle me confirme qu’il faut compter sur deux heures aller-retour. « Et je marche lentement ! » ajoute t-elle avant de me demander ce qu’il en est pour moi. « Aujourd’hui je suis très lente ! ». La dame reprend alors : « de toute façon on peut toujours commencer et revenir sur nos pas … » elle marque un temps de pause avant de finir « …c’est ce que je dis toujours mais ne fait jamais ». J’éclate de rire : c’est exactement l’argument que je viens de sortir à M Pizza, un peu réticent à l’idée de me voir m’engager dans cette randonnée.
Nous entamons donc la descente et par chance les nuages s’écartent un peu. Cela avive en quelques secondes les couleurs du lieu, une lumière dorée baigne désormais les parois rouges et la vallée. En certains endroits la pierre est à présent d’un bel orange vif. L’abri des roches protège très bien du vent que l’on ressentait désagréablement en haut du trail, du coup la balade est vraiment agréable.
Notre destination
On ne croise pas grand monde : un autre couple est parti devant nous et un Navajo est assis sur un rocher avec une vue imprenable sur le canyon, peignant sur des cailloux. Il doit réaliser de bien beaux paysages vu ce qu’il a sous les yeux ! Curieuse, je glisse au passage un regard sur ses réalisations, imaginant déjà un bosquet de cottonwoods au pied des ruines, une rivière coulant au bord…
Raté, mon artiste peint des kokopellis d’un bleu si électrique qu’il en agresse presque la vue ! Pour les cottonwoods on repassera…
Nous passons à côté de cavernes creusées dans la falaise et nous amusons à imaginer dans les aspérités des parois des dessins d’animaux.
Vous ne trouvez pas qu’on dirait un oiseau prenant son vol ? Bon…un gros oiseau…une sorte de Chocobo, quoi.
En contrebas, les arbres d’un gris ou vert pâle ajoutent une douceur supplémentaire à ce canyon à taille humaine qui nous a d’ores et déjà conquis.
Le bout du tunnel…
Arrivés en bas sans souci après être passés par un tunnel qui débouche sur un bel arbre et un hogan, nous longeons la rivière jusqu’aux ruines.
Un grillage empêche l’accès au village pueblo mais on les voit cependant très bien (bon certainement rien à voir avec la proximité que l’on a à Mesa Verde).
J’adore cet endroit : c’est beau, paisible, chargé d’histoire…le contraste entre gris, vert et rouge est magnifique. La roche est striée de coulées de différentes teintes allant de l’orange au brun , c’est surprenant et ça crée comme un rideau de théâtre se soulevant sur les ruines nichées dans la caverne.
La forme de l’arbre se détache presque comme une ombre chinoise.
On distingue des pétroglyphes sur la roche, dont une dinde et un petit Kokopelli qui semble escalader la falaise pour rejoindre les maisons dans la cavité.
Thanksgiving chez les Navajos ?
Plus prosaïquement je suis une fois de plus épatée par l’organisation des américains : de l’autre côté de la rivière on trouve des WC ! Et ceux là ne sont pas en ruine.
Après avoir profité de la quiétude et de la beauté des lieux nous faisons demi-tour. Nous passerons la montée à dépasser / nous faire dépasser par 4 français, c’était assez drôle.
La montée ne présente pas de difficulté et la belle vue que nous avons en permanence sur la vallée en tournant la tête aide bien !
Le dernier rayon de lumière illumine deux arbres
De retour au point de départ le soleil est déjà bas et je commence à penser au poêle à bois du hogan. Jute avant notre départ Katie nous a déposé des bûches mais nous n’avons pas de petit bois, juste les journaux récupérés à l’aéroport en prévision de ce soir. J’embauche donc M Pizza et nous longeons le point de vue, ramassant les branches mortes qui trainent.
Une fois au hogan notre mission principale, et nous l’acceptons, consiste à faire un feu. On a amené des sacs de couchage, récupéré des couvertures et prévu des sous-vêtements thermiques mais on n’est pas sûrs que cela suffira…
J’accroche nos lampes frontales au plafond et allume la lampe à huile (une première pour moi) histoire d’avoir un peu de lumière. Ça serait idiot de balancer au feu le road book en le confondant avec une bûche, pas vrai ? :P
Pendant que j’utilise des bouts de journaux pour colmater les trous dans les murs les plus proches de la paillasse (il y’a parfois sacrément d’espace entre deux rondins), M Pizza s’attaque au feu.
Bizarrement ça ne marche pas du tonnerre…
On a un peu de mal à démarrer le feu : il y a beaucoup de cendres et je n’ose pas vider le foyer de peur d’en avaler la moitié, qui plus est le petit bois est parfois un peu humide. Du coup je crains de manquer de bois et envoie M Pizza dans la nuit chercher des brindilles supplémentaires. Au final on obtient une belle flambée que nous contemplons, ravis, en grignotant notre repas.
Vient l’heure de se coucher ; on s’enveloppe dans nos vêtements les plus chauds, dans les sacs de couchage, sous les couvertures (rien que ça) et sombrons dans les bras de Morphée pendant que le feu crépite doucement.
Une journée au final fort instructive : M Pizza a appris à faire un feu, et ça m’apprendra à choisir sur internet des pseudos idiots (qui en plus m’amènent à pratiquer le cannibalisme). Je mets donc en garde les internautes ayant prévu de se rebaptiser « Foiegras64 », « Mlle Patatalo » ou « Kouigna Man » mesurez les incidences possibles de ce geste aux apparences anodines : ne vous avisez plus d’essayer de manger vos pairs où il vous en cuira !
