En quittant Tusayan, nous allons rouler quelques 28 miles pour rejoindre Williams et ensuite mettre le
cap à l'Ouest .
Nous allons à la rencontre d'un autre Mythe de l' Amérique , un Monstre Sacré qui appartient au patrimoine culturel de ce pays , même si il s'inscrit dans un tout autre registre que le passé " géologique " plusieurs fois millénaire de cette région du globe ...
Le prologue de la saga de la Route 66 est très proche de nous :
1867 : la toute première ligne ferroviaire trans-continentale entre en service .
Au début du XXième siècle , il existe déjà 300 000 Kms. de voies ferrées .
Afin de " compléter " ce besoin irrépressible de se déplacer à travers ce vaste continent , un homme d'affaires visionnaire et avant-gardiste , Cyrus Avery est à l'origine , dès 1923 , d'un réseau routier " ordonné " , destiné à remplacer le désordre inorganisé des " pistes " existantes : la " Grande Route Nationale " alias Route 66 voit le jour !


Les travaux débutent en 1926 , mais il faudra attendre 1938 pour que la route soit totalement " empierrée "
Elle reçoit son nom de baptême : Grande Route Diagonale ...
encore autrement nommée : Main Street of America .
Dans les années 1934 à 1936 , le " Dust Bowl " , va sévir , qualifiant une grande sécheresse et des tempêtes de poussières qui vont réduire à néant les récoltes des familles d'agriculteurs de
l' Oklahoma et de l' Arkansas .
Les banques étant propriétaires des terres exploitées , les infortunés paysans ne pourront rembourser leurs dettes , outre le développement de l'agriculture mécanisée avec l'avènement de l'utilisation du tracteur ...
Les vertes vallées californiennes, font désormais office de terre promise et l'existence de la Route 66 leur ouvrent une voie toute tracée pour leur exode vers l'Ouest !


C'est ce que raconte John Steinbeck dans son roman de 1939 qui s'intitule
" Les raisins de la colère " dont un film a été adapté avec en vedette Henry Fonda
" La 66 est la route des réfugiés , de ceux qui fuient le sable et les terres réduites , le tonnerre des tracteurs , les propriétés rognées , la lente invasion du désert vers le nord , les tornades qui hurlent à travers le Texas ,les inondations qui ne fertilisent pas la terre et détruisent le peu de richesses qu'on pourrait y trouver . C'est tout cela qui fait fuir les gens et , par le canal des routes adjacentes , les chemins tracés par les charrettes et les chemins vicinaux creusés d'ornières , les déversent sur la Route 66.La route 66 est la" Route Mère " la route de la fuite ..."
voilà donc à qui revient la paternité de cette appellation passée à la postérité :
" Mother Road ..." , c' est à l'écrivain John Steinbeck !

Voilà comment s'écrit la genèse de ce mythe qui n'a guère eu le temps de se perdre dans la tradition orale du fait de sa relative " jeunesse " ...
La Route 66 a tour à tour connu les affres de la 2ème guerre mondiale , participant à l'acheminement de troupes et surtout de matériels lourds qui l'ont endommagée au point de lui en faire garder les séquelles !
Les années 50 , qui ont vu la démocratisation de l'automobile , ont participé à sa gloire légendaire , par le biais de la fréquentation de millions d'américains aussi friands de ses paysages que de l'opportunité de l'emprunter pour se rendre dans les tous nouveaux parcs de l' Ouest qu'elle désservait !
Par analogie la Route Nationale 7 a connu le même succès d'estime en son temps ...

" On est heureux Nationale 7 ! "

"We're happy Road 66..."
C'était sans compter sur un succès qui va bientôt la dépasser ; l'état de la Route se dégradant , et ses dimensions inadaptées au trafic grandissant , le Président Eisenhower , épaté par les autobahn allemandes , est l'initiateur dès 1956 de l' Interstate Highway System encore en service de nos jours , puisqu'achevé en 1991
En 1984 , Williams sera la dernière ville " contournée " en Arizona , sonnant le glas de cette " mère protectrice " ...
Dès lors , la Route fut en quelque sorte " oubliée " , démantelée en partie ; certaines portions ont tout simplement disparu ...
C'est à l'initiative d'un mécène inattendu que sa mort ne fut pas entérinée ; ce " chevalier Bayard " des temps modernes , coiffeur de son état se nomme Angel Delgadillo!

Ce souriant personnage , un businessowner , comme le nomme les américains part en croisade pour sauver SA route ! ( il est originaire de Selingman où il a vu le jour en 1927 , appartenant par conséquent à la même génération que sa " protégée " ...)
Il a été baptisé : " Père de la Route 66 "...
J'ai ma petite idée à ce propos ; étant du même âge , il ne peut ni en être le " Père " , et encore moins le gigolo

Il en sera donc : " L'ange gardien "
Le 18 Février 1987 , il crée la : Arizona Route 66 Association.
Il déclarera : " Quand je repense au 18 Février 1987 , je me dis que nous avons organisé ce jour là une fête qui ne s'arrêtera plus jamais ! "

Bien sûr , ses intentions pourraient apparaître peu louables chez certains esprits chagrins puisqu'il a organisé la suite de son business décadent ...
A l'instar de Harry Gouldings promoteur de Monument Valley , il a mis ses convictions et son énergie pour une cause à laquelle il croyait ; dans son cas il s'agissait d'une "résurrection" , tandis que dans le cas d'Harry , c'était un " avènement "!
Mais ce sont des personnages comme eux qui contribuent à faire de l'Amérique ce qu'elle est !

De toute évidence , le passé millénaire de Monument Valley n'est pas à comparer avec cette jouvencelle qu'est la
Route 66 qui , sans Delgadillo n'aurait " vécu " qu'à peine un demi-siècle !!!
Le premier tronçon qui recevra le titre de Historic Road est celui situé entre Kingman
et Selingman .

Nous nous trouvons précisément à Selingman au moment où je vous " abreuve " de toutes ces péripéties ...
Le décor , à défaut d'être champêtre , s'apparente plus à un joyeux capharnaüm qu'à un musée à ciel ouvert bien ordonné .

La " vieille Dame " y prend des allures de cocotte un peu trop outrageusement maquillée qui trahit son âge ...




Les " belles américaines " d'antan qui trônent encore ici , ont pris quelques rides et semblent perclues d'arthrose ...
A moins qu'un généreux collectionneur ne les soustraient à leur sort , elles sont condamnées à subir les outrages du temps et à supporter l'éblouissement des flashes des nombreux visiteurs ...




l'ombre du barbier Delgadillo plane encore ; le fauteuil qui a vu s'y assoir bon nombre de célébrités ne demande qu'à reprendre du service .


( photo. " empruntée " ...)
L'ancien salon de coifure ne sent même plus la gomina et a été remplacé par un gift shop où règne un joyeux désordre ...

La " tête de son propriétaire y est mise à prix " ...

Mais Mr Delgadillo a plus d'un tour dans son sac , il va avoir l'opportunité de rencontrer en 2006 un certain
John Lasseter des studios Pixar ; c'est le début d'une nouvelle aventure avec le premier chapitre du dessin animé "CARS" qui va immortaliser Selingman rebaptisée pour la circonstance
" Radiator Springs " et voir les pare-brises des carcasses automobiles alanguies se parer de regards expressifs et novateurs pour ces icônes de la production automobile des Années 50 ...



Celui qui néanmoins tient la vedette , c'est un dénommé Martin qu'on a amputé par dérision de l'attribut " Aston ..." , on peut comprendre aisément pourquoi ( l'anecdote rapportée ici est bien réelle ...)



Bref , il est temps de clore ce chapitre longuement commenté , un sujet qui habituellement ne passionne pas les foules .
Et puis ... c'est pas tout ça , mais on a encore de la route à faire !

" Nous avons encore du chemin à parcourir . Mais qu'importe , la route c'est la vie ..."
Jack Kerouac
