
Le désert de Mojave s’étend à perte de vue, un tapis infini de poussière ocre et de ciel bleu, parsemé de Joshua Trees. Depuis Visalia, Sarah (ma compagne) et moi-même entamons un long périple : plus de six heures de route, soit 367 miles (600 kilomètres), pour atteindre la Vallée de la Mort. Peu à peu, le paysage se transforme. Les forêts et banlieues cossues cèdent la place à une terre aride, sculptée par le vent et le temps. Sur la route, des champs d’éoliennes géantes s’alignent comme des sentinelles silencieuses, leurs pales hypnotiques contrastant avec l’immobilité du désert.
Entre chaleur et rugissements
Baker, Californie. Une halte s’impose pour ravitailler notre Mitsubishi Outlander et nous accorder une pause bienvenue. La ville, célèbre pour son thermomètre géant, affiche fièrement la température étouffante. À la station-service Arco, l’accueil est aussi chaleureux qu’une porte de prison. Quelques échanges laborieux plus tard — et un passage devant des pickups brûlant du caoutchouc sur l’asphalte — nous reprenons la route.
Un saut dans le passé
À Death Valley Junction, l’Amargosa Opera House and Hotel surgit comme une relique figée dans le temps. Difficile de croire que cet endroit singulier, situé à quelques encablures du parc national de la Vallée de la Mort, était autrefois un symbole de modernité. Construit entre 1923 et 1925 par la Pacific Coast Borax Company, il servait initialement à loger les investisseurs de l’entreprise minière. Avec ses systèmes de chauffage et de refroidissement centraux, ainsi que ses puits de lumière illuminant les salles de bain, l’hôtel était à la pointe du confort pour l’époque.
Après la fin de l’exploitation minière en 1928, le bâtiment fut transformé en hôtel ouvert au public, offrant même un service en gants blancs dans sa salle à manger.
Ce lieu historique a pris une toute autre dimension grâce à Marta Becket, danseuse, peintre et âme artistique de l’Amargosa Opera House. Après avoir découvert cet endroit déserté dans les années 1960, Marta y a insufflé une vie nouvelle. Ses fresques ornent aujourd’hui les murs de l’hôtel, transportant les visiteurs dans des univers oniriques. La salle à manger, par exemple, évoque une cour espagnole, tandis que d’autres pièces s’animent de motifs de plumes de paon, de chérubins ou de scènes de cirque. La chambre 22 rend hommage à l’acteur Red Skelton, ami proche de Marta, avec une ballerine dansante et des acrobates peints en trompe-l’œil.
Une atmosphère unique et troublante
Dès notre arrivée, l’hôtel nous accueille avec son charme mystérieux. Le séjour commun, avec sa cheminée en pierre, semble tout droit sorti d’une autre époque. Des chats viennent nous saluer, un noir, élancé et silencieux, et un autre, blanc et marron, aux manières plus décontractées. Mais c’est dans le long couloir menant aux chambres que l’atmosphère change. Les portraits accrochés sur les murs semblent suivre nos pas, ajoutant une touche presque surnaturelle à l’ambiance.
Notre chambre, la numéro 5, dégage une simplicité élégante : un lit au couvre-lit fleuri, un mobilier sobre et fonctionnel, et une salle de bain aux carreaux verts et jaunes rappelant les origines du lieu. Pourtant, l’idée que cet endroit est réputé hanté plane au-dessus de nous. Les récits des visiteurs et même du personnel évoquent des bruits inexplicables, des silhouettes fugaces et une sensation troublante, comme si l’histoire elle-même hantait ces murs.
Un lieu hors du commun
En face de l’hôtel, les vestiges d’un garage, avec ses lettres à demi-effacées, rappellent le temps où Death Valley Junction était une petite ville animée. Aujourd’hui, l’Amargosa Opera House and Hotel reste une halte prisée, tant pour son prix abordable que pour sa proximité avec la Vallée de la Mort. Mais au-delà de son utilité, c’est son âme singulière qui captive. On ne visite pas cet endroit pour le confort moderne, mais pour ressentir quelque chose d’intangible : une connexion avec le passé, une curiosité pour l’inexpliqué, ou peut-être simplement le frisson d’un endroit qui semble avoir une vie propre.
À la découverte de la Vallée de la Mort
Nos valises déposées, nous reprenons la route pour explorer la mythique Vallée de la Mort, l’un des endroits les plus chauds du globe. Notre premier arrêt est le panneau marquant l’entrée du parc national. De là, nous filons vers Zabriskie Point, où des millions d’années d’érosion et d’activités géologiques ont sculpté des paysages lunaires. Plus loin, Golden Canyon dévoile ses collines dorées et ses étroits canyons baignés par la lumière dorée du crépuscule.
Le sel du diable et la mauvaise eau
Au Devil Golf Course, nous marchons sur un sol étrange, composé de sel cristallisé — tout ce qui reste d’un ancien lac. Plus loin, le Badwater Basin, point le plus bas d’Amérique du Nord à 85,5 mètres sous le niveau de la mer, s’étend devant nous. À perte de vue, un désert de sel, où l’eau rare est aussi salée que précieuse. C’est ici qu’un géomètre, désespéré de ne pas abreuver sa mule, baptisa l’endroit « Bad Water ». Le coucher de soleil peint la roche de teintes orangées et violettes, un spectacle que nous savourons en silence, une bière tiède à la main.
Retour à l’hôtel : entre fatigue et frissons
De retour à l’hôtel, la chaleur étouffante de la journée — 39 °C en ce mois de mai — laisse place à une fraîcheur relative. Exténués, Sarah et moi décidons de dîner dans la salle commune. Nos Mac & Cheese au micro-ondes, achetés ce matin au supermarché, s’avèrent immangeables, et nous finissons par grignoter nos réserves. La pièce, étrangement vide plus tôt, s’anime soudain de quelques groupes. Fantômes ou retardataires ? Difficile à dire dans ce lieu où le passé semble encore habiter les murs.