Mise en garde : n'attendez pas, dans le compte rendu de cette journée de révélations fracassantes, d'aventures scabreuses ou d’enchaînements palpitants. Nous sommes des apprentis aventuriers, des baroudeurs du dimanche, des conquistadors avec filet. Jusqu'à ce jour, quasiment rien à notre actif en dehors des sentiers battus. Angoissée de nature, j'aime la sécurité, les sentiers balisés, la liberté d'esprit que donne l'assurance du "no problem" même s'il est toujours un peu illusoire. Alors pourquoi aujourd'hui un programme wilderness ? N'étant pas à une contradiction près, j'aime aussi le frisson de l'inconnu, les grandes étendues vierges (si, si, ça doit bien exister quelque part encore ...), ce sentiment de liberté d'esprit que donne ce "no limit" même s'il est complètement illusoire.
Forte de ces contradictions j'ai donc préparé cette journée à ma manière très cadrée. Nous nous sommes mis au GPS de rando (application Iphone qui marche super bien pour moins de 3€) avons chargé la carte topo du coin, une trace gpx et pas mal de points gps et j'ai écumé le net (ça, je sais faire), allant de découverte en découverte. Nous n'avons pas de 4×4 mais la piste ne le nécessite pas normalement et de toute façon, n'ayant jamais expérimenté ce mode, pas sûre qu'il nous ait été vraiment d'un grand secours ; mais un SUV assez haut sur pattes pour joindre l'utile à l'agréable.
Ces considérations notées, zou, on y va. Cap sur Edmaier's Secret et West Clark Bench
Mauvais point dès le départ, le démarrage traîne. Il faut faire le plein et il y a une Fiesta Balloon ce matin à Kanab avec une cinquantaine de montgolfières dans le ciel. Bon point d'un autre côté la météo est au beau fixe, aucun risque de pluie. Et puis, il y a une trotte à faire sur l'US89 avant d'atteindre la House Rock Valley Road.

Arrivés à l'embranchement de la piste, je suis déjà prête à déclarer forfait : le sable est lacéré d'ornières profondes, il a plu hier, si c'est mouillé, c'est cuit. Mon homme ne voit pas le problème et il faudra que je descende de voiture pour plonger mes doigts dans la terre à peine humide avant d'accepter de l'écouter. Nous nous engageons donc sur cette piste "facile". Hum ! Oui, elle a du l'être, facile, sauf que depuis il a plu et que visiblement des véhicules plus hardis sont passés par là, non sans difficultés, laissant des traces profondes qui zigzaguent sur le chemin. Le sable a séché mais les sillons sont toujours là.

On avance, j'enfonce mes doigts dans mon siège, c'est à peu de chose près tout ce que je peux faire vu que je n'ai pas le volant, jusqu' ... au wash. Evidemment il est rempli d'eau ! Nouveau stop, réflexion, hésitation, une autre voiture arrive, hésite, se lance, passe dans une gerbe d'eau couleur rouille. On se garera avant le wash. Après tout, ce n'est pas très loin du trailhead.
Passons à l'étape pédestre. La marche d'approche, j'ai lu qu'elle était belle, longue et pénible sous le soleil. Elle est magnifique, dure un peu moins d'une heure, et le soleil ne devrait pas trop nous gêner, il fait un petit 20°. Sauf que ... il y a pas mal d'eau dans le wash ! Ce n'est donc pas une marche dans le sable que nous expérimenterons mais une marche dans les broussailles, épineuses de surcroît. J'ajoute mentalement dans ma liste de "choses indispensables à emporter" une machette. Pas sûr qu'elle passe la douane ! Et puis ce wash, il va falloir le traverser, douze fois (j'ai compté au retour), et il est parfois large et profond, pas de quoi noyer un homme je vous rassure mais juste assez pour inonder une chaussure, même montante ! Je rajoute sur ma liste de choses à emporter des sacs poubelles pour en faire des bottes de fortune (j'ai déjà lu ça quelque part mais je ne sais plus exactement où).


Arrivés aux barbelés, il faut décider du chemin à suivre. J'ai choisi de monter sur la gauche tout de suite et le plus haut possible. Je ne sais pas si c'est judicieux mais c'est pénible. Parce qu'entre deux points GPS , si le chemin le plus court est la ligne droite, le parcours réalisable est parfois une succession d'ondulations épuisantes tant moralement que physiquement. Bien sûr, je le savais mais le réaliser sur le terrain est une autre affaire. Nous grimpons donc, progressivement, passant de zones sableuses, à des zones de végétation plus dense.



Déjà, de belles formations ciselées se dévoilent. Leur fragilité est effrayante, on a l'impression de se déplacer dans un magasin de porcelaine. De vallons en arêtes, on monte encore, hésitant parfois sur la voie à suivre. On semble suivre des traces sur le sol. Je me demande, avec quelque inquiétude, de quelle bestiole il s'agit ... Rajouter un bâton, ou une "bombe anti-tous les animaux" sur ma liste. La prochaine fois je viens avec une valise !


On monte encore (trop?) jusqu'à atteindre la crête. Je suis un peu déçue. La vue est très jolie mais ce n'est pas ce à quoi je m'attendais. Poursuite du parcours plein Sud. On attaque la partie brain-rocks, slide-rocks, c'est beau, impressionnant, à une échelle qui n'est pas la nôtre. Les monts sont striés en lignes parfaitement parallèles parfois horizontales, parfois obliques et lorsque l'on s'approche, on constate qu'il ne s'agit pas de simples lignes mais de véritables broderies de roche qui soulignent le roc tantôt de blanc, tantôt de rose. Et toujours cette fragilité, la pierre qui cède sous une semelle trop brutale, le pied qui bascule sur le grès qui se dérobe, redevient sable.

Quant aux brain-rocks, ils portent bien leur nom. Un monstrueux cerveau qui jaillit de sa boite crânienne, exposant ses circonvolutions aux éléments, glissant sans limite le long de la pente, fleurissant soudain en de curieux nodules bourgeonnants.


Au début, on s'amuse, démarche élastique, rythmée, un pas, un saut, deux pas, glissement de côté, encore un pas, attention, la protubérance gonfle. Les circonvolutions sont parfois larges et profondes. Heureusement, la roche n'est pas glissante et la semelle s'y agrippe bien. Pas sûr qu'il en soit de même sur terrain mouillé et une entorse, dans un contexte comme celui-ci amènerait une complexité certaine pour la suite de la balade. Cependant, à échelle de géant, les distances s'allongent et on fatigue vite sur un tel territoire, sans compter qu'il n'est pas question de quitter ses pieds des yeux un seul instant. L'avancée n'est pas rapide.


On finit par arriver sur le plateau, West Clark Bench, enfin je pense qu'on y est parce qu'évidemment, il n'y a pas de panneau. En tout cas, c'était mon but, les paysages dont j'avais rêvé, le must à mes yeux. Imaginez une vaste étendue qui domine tout, si pâle, si claire qu'elle en parait presque blanche sous les rayons du soleil, imaginez des gradins de roche en rangs serrés, des piliers de granit, la pierre qui se courbe en ébauche de vague, s'arrondit, se fait caresse. Imaginez enfin un vaste bassin comme modelé sur le tour d'un potier, délicat, au galbe presque parfait et en son centre l'éclat de l'eau qui dort.



Là-haut, c'est une succession de potholes, ovales ou rondes, petites ou plus grandes, un festival de roche rehaussée par un buisson bleuté, le vert d'un arbuste torturé. Et plus loin encore, comme une couronne dans la salle du trône, l'arche qui se détache sur l'azur du ciel. J'aurais pu rester des heures dans cet endroit de quiétude et de majesté mais il nous faut songer au retour, par le bas cette fois-ci, ce sera plus facile. Une affirmation que je fais un peu naïvement.

