Jour 5 Mardi 16 avril 2013
Sur la piste des rêves
Partie 1 : Dinosaures, falaises rouges et trous d’eau
Ce matin, pas de petit déjeuner compris dans le prix de la chambre. Logique, on a une cuisine équipée ! Il y’a même une pâte noire bizarre au frigo : du café. On se concocte de quoi se sustenter. M Pizza se contente de pain et d’un peu de poire, pour ma part ce sera bol de fruits frais, pain, noix et amandes. Thé à volonté pour tous les deux.
Nous tentons à nouveau de voir Jake pour régler le prix du séjour, nouvel échec. Tant pis, ce sera pour ce soir. Au moins on a vu sa mère, on ne se sent donc pas complètement hors la loi.
Ça nous rappelle une auberge de jeunesse en Irlande…arrivés devant la porte, on entre : personne. On appelle, on fait quelques pas…toujours personne. Un panneau placé près du téléphone de l’accueil nous informe que si personne n’est là, nous pouvons appeler Brian. Je décroche le combiné et compose le numéro indiqué…Brian est au bout du fil, il nous explique qu’étant malade il ne pourra pas nous accueillir, mais nous rassure : les clefs sont sur la porte et il nous suffira de laisser l’argent sur le lit en partant !
On aura donc eu l’auberge fraichement rénovée pour nous tous seuls, un grand moment (je me revois encore en train de crier « but where is Brian ? » dans l’entrée).
Nous partons faire de l’essence puis vers la Lake Powell scenic view , réputée pour ses couchers de soleil. C’est loin d’être l’heure mais comme on ne sait pas si nous aurons le temps d’y passer ce soir... nous avons le soleil en face mais quelques nuages ont la bonne idée de le cacher un peu. La vue est magnifique même à cette heure. Mais quel vent !
Nous quittons ce beau promontoire à destination du Visitor Center de Big Water (que je persiste à vouloir renommer Bad Water, pas sûr que les gens du coin apprécieraient…

).
Grâce à l’heure matinale, les couleurs sont beaucoup plus vives qu’hier après-midi, les tons ocres et roses ressortent bien mieux.
Arrivés au Vistior Center nous interrogeons le ranger sur l’état de la piste vers Wire Pass. Manque de chance il ne peut pas nous renseigner, nous devons demander à la station de Paria.
Zut ! Nous nous apprêtons à repartir quand je remarque la décoration pour le moins originale des lieux : des os de dinosaures, des dessins de dinosaures, des reconstitutions de dinosaures…la curiosité l’emporte sur le planning et nous décidons de nous pencher un peu sur cette exposition.
C’est vraiment intéressant ! Les os sont en très bon état, on voit des pans de squelettes voire des squelettes entiers…au bout d’une dizaine de minutes, voyant qu’après avoir admiré un dinosaure ressemblant à un ichtyosaure sans en être un, la queue d’un autre gros lézard (et les dents du tyrannosaure qui en avait fait son repas) nous nous penchons désormais sur une empreinte de peau fossilisée qui ressemble un peu à un morceau de ballon de basket, le ranger s’approche et engage la conversation.
(Warning : n’étant pas du tout une spécialiste de la climatologie ni de la paléontologie, les retranscriptions ci-dessous contiennent probablement des erreurs qui ferraient se retourner un scientifique dans sa tombe).
Merle Graffam (il porte un nom d’oiseau, pas mal pour un type qui travaille à côté de dinosaures :P ) nous présente l’exposition, nous expliquant que toutes les découvertes sous nos yeux sont très récentes : elles datent de la fin des années 90 ! L’Utah se révèle être une véritable mine d’or pour paléontologues, avec un rythme de découverte des nouveaux fossiles atteignant les un par mois durant la décennie 2000 ! Il nous décrit le climat qui régnait à l’époque où ces délicieuses créatures peuplaient le coin : autrement plus propice à la baignade. Avant que les 2 Amériques ne se rejoignent, de grands courants marins suivaient les latitudes. L'Utah était une côte tropicale bordée d’un océan chaud, d’où la profusion de bestioles.
Je suis intriguée par la présence de plumes sur certains dinosaures, j’imaginais ces animaux recouverts d’une épaisse peau et non vêtus de la parure des oiseaux. Notre ranger nous indique qu’on peut voir certains spécimens de ces dinosaures à plumes dans Jurassic Park…sans plumes! Du moins dans le premier car devant l’insistance des jeunes téléspectateurs américains, choqués par cette entorse à la réalité, les dinosaures retrouveront leurs plumes dans le 3ème volet de la saga.
Et en parlant de dinosaures à plumes…Merle Graffam nous fait remarquer une créature ayant une vague ressemblance avec un gros poulet mal luné.
Il s’agit du Nothronychus Graffami.
Graffami ? Graffami…

eh oui, comme le ranger ! Nous avons devant nous l’inventeur du gallinacé haut sur pattes ! Il l’a découvert en 1999, premier Nothronychus trouvé sur le sol américain (on en avait déjà découvert en Mongolie).
C’est lui ! 
Je suis ravie de cette rencontre et demande à Merle s’il accepte que je le prenne en photo…
…non seulement il accepte mais en plus il se donne à fond le bougre !
Admirez la magnifique figurine de son dinosaure!
Nous le remercions pour ses explications (et la séance photo de star) et nous rendons à la Paria Contact Station.
La dame des lieux nous rassure, la piste vers Wire Pass comme la Cottonwood Canyon Road sont praticables. Elle ajoute qu’en cas de gros orage au dessus de Wire Pass, nous pourrions toujours continuer la piste vers le sud. M’enfin une journée de route pour rentrer quand même... bon, pas d’orage en vue donc on ne devrait pas en arriver à cette extrémité.
Nous nous engageons sur la House Rock Valley Road, notre première piste.
Magnifique!

M.Pizza se concentre sur la conduite, maugréant contre les informations peu fiables trouvées sur le net. Il est vrai que j’avais lu partout « piste très praticable » et ma foi, nous ne sommes pas si à l’aise que ça ! Du coup je m’inquiète un peu intérieurement de ce que ça va donner cet après midi sur la Cottonwood Canyon Road…entre deux encouragements ponctués de « bien, on a encore fait un mile !... Plus que 14 !... Plus que 13.5 !... » je profite de notre allure d’escargot pour dévorer les alentours des yeux. La piste rouge contraste avec la végétation verte qui la borde. Nous sommes dans le Vermillion Cliffs National Monument…et ça se voit !
Les collines qui nous entourent affichent une splendide palette de couleurs. Combien de trésors se cachent encore derrière?
Nous voici désormais sur le parking de Wire Pass. C’est également le parking qui permet d’accéder à Coyote Buttes North où l’on trouve The Wave…site accessible uniquement sur présentation d’un permis qu’on obtient (ou pas) en participant à une loterie sur internet 4 mois avant ou la veille à Kanab. Nous n’avons pas eu de chance sur internet et n’avions pas le temps de nous rendre à Kanab. Avril n’est pas le mois le plus facile pour obtenir un permis, en effet la température est idéale pour randonner dans le secteur.
Mais bon, nous nous sommes concocté un programme de consolation qui nous offrira une bien belle journée, sans doute la plus belle du voyage à mes yeux.
Nous nous préparons pour Wire Pass . Une famille est prête à partir, nous faisons vraiment guignols à côté d’eux : ils sont équipés de sacs de randonnée, vêtus de tenues qui pourraient tout droit sortir du Vieux Campeur…alors que nous avons nos p’tits sacs de balade habituels et dans l’excitation du départ nous avons tout juste pris un léger pull. Ben oui, sur Page il faisait chaud…et là comment dire, il y a du vent, un bon vent bien froid qui vous dresse le poil sur le mollet. Du coup je remonte tant bien que mal mes chaussettes et rentre mon t-shirt dans mon short estival, on saute même un peu sur place pour arrêter de grelotter. Les pieds nickelés, c’est nous ! On se marre en se regardant, tous ces mois de préparation et même pas fichus de prévoir un manteau dans la voiture alors qu’on le fait au quotidien sans y penser !
Point positif, nous ne trainons pas : la marche ça réchauffe ! Après avoir payé notre permis d’accès au site (6$ à déposer dans une enveloppe avec reçu sur le pare brise), en route pour le wash. Le ciel est bien couvert, on reçoit quelques gouttes mais rien de méchant. En temps normal on adore marcher par ce genre de temps mais…en temps normal on se balade un peu plus couverts !
Les lieux sont splendides, les roches alternent entre gros blocs et rochers striés comme de la gaufrette.
Bien vite les roches se rapprochent, nous arrivons à Wire Pass.
Ce canyon tient toutes ses promesses : nous nous amusons comme des petits fous à progresser entre les parois qui s’inclinent d’un côté puis de l’autre.
Les couleurs sont moins belles qu’a Antelope mais les lieux sont déserts, on peut avancer au rythme de notre choix. Du coup je m’en donne à cœur joie !

Je cours, je saute, je fais demi-tour, j’admire les effets de la force des éléments sur les parois du canyon…et sur les arbres du coin ! A voir un tronc d’arbre coincé dans le canyon, bien au dessus de nos têtes (bon je ne suis pas bien grande mais M Pizza aussi passe largement en dessous, hein !), on réalise vraiment la violence d’un flash flood !
Rapidement nous atteignons la jonction avec Buckskin Gulch. Devant nous, une caverne dans laquelle se trouvent des pétroglyphes. Une famille (seules personnes croisées jusqu’à présent) pique nique sur place. Le coin est bien choisi!
Nous décidons de nous engager dans Buckskin Gulch par la gauche.
Les parois sont plus grises que dans Wire Pass, nous marchons désormais au milieu des trous d’eau et des cailloux. Cette partie du trajet est encore plus amusante que la première, j’adore les trous et les niches creusés dans les parois.
Moui...je vais avoir du mal à sauter ça...
Nous pourrions continuer encore longtemps mais la suite de notre voyage nous attend…nous retournons donc au niveau du croisement avec Wire Pass, curieux de voir à quoi ressemble l’embranchement de droite. Nous n’irons pas loin, un impressionnant trou d’eau bien boueux barre le chemin.
Nous nous apprêtons à repartir dans Wire Pass quand un randonneur nous interpelle. N’étant pas encore habituée à la familiarité déconcertante dont font preuve les américains (du sud-ouest en tout cas, pour les autres je ne me prononcerai pas), je pense qu’il a besoin de l’heure, ou peut-être que je le prenne en photo. Que nenni ! il a juste besoin…de parler avec nous!
Au menu bien évidemment la beauté de la région dans laquelle nous nous trouvons. Quand nous détaillons notre road trip, son œil se met à briller: adorant voyager en Utah et Arizona, il connaît la grande majorité des lieux que nous avons vu ou allons traverser et nous complimente pour nos choix. Il s’enthousiasme en découvrant que nous avons prévu de camper au canyon de Chelly, approuve bruyamment notre décision de découvrir Fiery Furnace en visite guidée à Arches et pousse un cri de joie quand on mentionne la randonnée Chesler Park-Joint Trail à CanyonlandsNeedles (même s’il a une préférence pour Druid Arch). Notre nouvel ami nous remercie chaleureusement de lui avoir fait découvrir un nouveau lieu (Coal Mine Canyon) et tique quelques secondes à la mention de l’Apache trail…forcément je l’avais prononcé à la française : Apatche et non Apatchi, une fois ce point corrigé il saisit tout de suite mieux.
Alors que je m’extasie (avec une pointe de jalousie) devant toutes les randonnées merveilleuses qu’il a pu faire, il s’enquiert de notre origine.
Moi :« We’re from France.
Lui : - where in France ?
Moi : - near Paris.
Lui, visiblement attaché à la précision : - but where exactly ?
Moi, persuadée qu’il ne va pas connaître : - Chartres, I don’t know if you’ve heard about this town? There’s a…
Lui, me coupant la parole: - Oooooooh Chartres ! I do love Chartres !!!!!!Amaaaaaaaaaaaaaaaziiiiiiiiiing (copyright Zaius) cathedral!!”
Nous découvrons ainsi que les américains ne sont peut-être pas les plus calés en géographie de la planète mais une chose est sûre, Chartres, ils connaissent ! Ce genre de conversation se reproduira tout au long du séjour…quand je pense qu’avant de venir y habiter, j’aurais eu bien du mal à situer Chartres sur une carte, j’ai honte !!!
Notre randonneur connaît d’autant mieux ce coin qu’il a étudié l’Histoire de l’Art et passé une semaine rien que sur les vitraux de la cathédrale. Nous avons alors droit à une scène surréaliste :
Nous disons au revoir à notre randonneur

et faisons demi-tour dans Wire Pass.
A quelques centaines de mètres du parking, un buisson sec passe devant moi, mollement porté par le vent : il est sacrément moins rapide que ceux sur la route vers Page ! Je pousse un glapissement, dégaine mon appareil photo et filme : ça y est, celui là est en boîte !!! :P J’en profite pour faire encore quelques photos des lieux, maintenant que les nuages se sont un peu dissipés.
Nous reprenons la House Rock Valley Road, quittant le secteur du Paria Canyon pour rejoindre un autre Paria, plus âgé : Old Paria.
« Allez, on y est presque ! plus que 14 miles…plus que 13.5 miles…plus que 13 miles… »
