Mardi 22 avril 2014
Le twist du mulet
"On trouvera forcément quelqu’un pour nous ramener !"
La salle du Broken Spur Inn rendrait sa bonne humeur au plus ronchon des cowboys.
Nous nous attablons joyeusement dans cette grande pièce lumineuse tout en bois et passons en revue le copieux buffet : œufs durs ou brouillés, saucisses, hash brown…ou si l’on est bec sucré, muffins, pancakes, gâteaux aux pommes, fruits…
Soudain un autre client de l’hôtel nous interpelle : est-ce nous qui venons du Minnesota ? Nous le détrompons : seule Number Three en est originaire, nous sommes français. Notre interlocuteur nous gratifie alors d’une belle démonstration de la passion pour la généalogie qui l’habite.
Après ce copieux (et instructif) petit déjeuner, nous prenons la route de Boulder via la scenic Highway 12, toujours aussi belle.
Larb Hollow Overlook
Quand nous entrons dans la Dixie National Forest, la neige nous rattrape, du moins sur les bas côtés.
A Boulder nous nous engageons sur le célèbre Burr Trail. La première partie étant bitumée, nous roulons sans souci.
Très vite nous sommes impressionnés par les paysages traversés : les collines de pierre en peau d’éléphant jaunes, rouges et blanches laissent bientôt place à des falaises oranges. Soudain nous arrivons sur un promontoire offrant une vue imprenable sur Capitol Reef. Je trépigne d’impatience à l’idée de pouvoir bientôt y randonner!
La route devient une piste très roulante qui nous mène à Upper Muley Twist Road (nous n’avons pas tenté l’approche par les switchbacks).
2h30 après notre départ, nous garons Number Three sur le premier parking, celui des 2WD.
L’entrée en matière est sublime !
Nous croisons un couple qui revient de Strike Valley Overlook. Ayant à de nombreuses reprises parcouru l'Upper Muley Twist Canyon, ils nous l’assurent : cette journée va être mémorable !
Une inscription sur le registre et nous voilà partis. La marche d’approche donne le ton, la piste serpente entre des roches massives à dominante de rouge et de blanc, parsemées de végétation.
Peekaboo Arch, en sourcil interrogateur
L’avancée sur le gravier est aisée, on se demande si nous n’aurions pas pu pousser en voiture jusqu’au second parking…mais savoir que de la pluie est prévue en fin de journée adoucit nos regrets.
La force de l’auto persuasion
D’autant que la marche d’approche est décidément splendide ! 3 arches majestueuses trouent le massif rocheux dans lequel nous progressons.
Selon notre guide, nous aurions dû atteindre Double Arch en 35 minutes. Il nous en faut 45…nous commençons à avoir des doutes sur les durées indiquées (sachant que la randonnée doit prendre 8h, ça promet !!!). Mais bon, on tombera forcément sur quelqu’un au retour pour nous véhiculer du 2d au 1er parking, pas vrai ???
Au bout de 50 minutes nous atteignons le parking des 4WD. Il y a foule : 2 voitures !
Dont une qui arbore une plaque d’immatriculation très classe :
Nous continuons dans le wash, dédaignant la route qui conduit à l’overlook : on veut découvrir la Waterpocket Fold en commençant depuis les entrailles du canyon.
Je suis fascinée par la variété de teintes qu’offre la roche, et me colle frénétiquement aux pans de murs qui nous entourent (j’ai toujours l’air moins bête que quand je photographiais « mes pieds » dans Sulphur Creek).
J’avais lu que ce canyon recelait un grand nombre d’arches mais je ne m’attendais pas à une telle profusion. C’est un véritable festival qui s’offre à nous, on en perd le compte ! Arches peut aller se rhabiller !
Ça c’est pas du Pork Chop, pas vrai ?
Quand nous atteignons la jonction avec la montée vers la route de la crête, indiquée par un petit panneau qui a dû connaître des jours meilleurs, nous cherchons sur notre gauche Saddle Arch…elle est tout simplement splendide dans son décor rouge martien.
Soudain…un homme ! Un randonneur sautille à notre rencontre, il arrive du sommet. Après les politesses d’usage, il désigne ses cheveux en pétard et nous lance dans un grand sourire : « the wind is going to blow you off up there ! ». Je ne comprends pas très bien en quoi c’est réjouissant mais bon…
Reculant l’échéance de l’envol, nous poursuivons notre route vers le nord-ouest, protégés au cœur du canyon.
La végétation, d’un beau vert sombre, habille magnifiquement les rochers gruyère striés, grumeleux, en gaufrette…les buissons poussent dans des angles improbables.
La marche est un régal dans ce paysage sans cesse changeant. Quand le canyon se resserre, rendant l’avancée impossible, des cairns nous guident sur la paroi de droite, 30 mètres environ au dessus du wash.
Nous surplombons les narrows puis regagnons le plancher des vaches. Nous nous arrêtons pour pique niquer alors que la montée recommence ; sans doute approchons nous de la rim route.
Salade au divin pesto, yummy !
Nous nous élevons au dessus du canyon et, incroyable mais vrai, la vue embellit encore ! Dommage que le ciel gris plombe les photos.
Mine de rien ça commence à bien grimper. On avance précautionneusement sur le slickrock au bord du vide, certains pas s’apparentent à de l’escalade…heureusement les cairns nous guident sur le passage le plus sûr.
Nous croisons une belle vague jaune. Après celle de Needles, ce voyage se place décidément sous le signe des flots.
The Yellow Wave
Ca se précise encore quelques mètres plus loin, avec l’apparition d’une formation des plus surprenantes sur la paroi ouest, en face de nous :
Comme des vagues partant à l’assaut de la paroi
Ça me rappelle quelque chose…
Glissade interdite !
Le retour de l’arbre mort !
Nous poursuivons notre montée, on devrait approcher du sommet…ah ben justement voilà un panneau indicatif.
Oups…
Bon donc en fait on entame la rim route.

Ok. Nous commençons à nous demander quand nous allons sortir de ce canyon : c’est magnifique mais l’heure tourne… L’arrivée sur la crête se fait désirer, elle échappe à nos regards.
Nous prenons de la hauteur. L’horizon s’élargit peu à peu ; encore quelques pas…
On approche…
…et soudain, au moment où le vent nous saisit et fait claquer nos vêtements, la vue porte d’un coup à l’infini, dévoilant un paysage aux allures de fond marin multicolore. C’est spectaculaire. C’est grandiose. La terre est plissée en plaques de stégosaure sur lesquelles un peintre fantasque se serait amusé.
Nous partons vers le sud le long de la crête. La vue à 360° est somptueuse, et la marche très agréable. Je m’attendais à un étroit chemin entre 2 abîmes, il n’en est rien : nous cheminons sur un large plateau jonché de blocs rocheux, de poches de sable et de petits bosquets de buissons qui coupent parfois du vent.
Nous descendons ponctuellement dans de petites cuvettes d’où l’on ne voit plus rien, puis le paysage s’ouvre à nouveau. Le spectacle qu’offre le lacet du Burr Trail en contrebas nous fascine.
Si le chemin entre les 2 parkings était une belle mise en bouche, la marche dans le wash un voyage d’arche en arche et la montée une balade grisante, cette partie de la randonnée sur la crête est le point d’orgue de la journée!
Mais l’heure tourne et on commence à fatiguer, aussi nous pressons le pas jusqu’au panneau qui indique la descente dans le canyon.
Si la montée au nord fut longue, la descente est rapide : en un clin d’œil nous voilà en vue de Saddle Arch (encore plus belle vue d’en haut) puis de retour dans le wash, sans doute aussi ébouriffés que le randonneur sautillant croisé ici tout à l’heure.
Le retour est rude : dur dur de s’enfoncer dans le sable, on sait qu’on en a pour 1h30…
Nous approchons du parking des 4WD, que nous avions mis 50 minutes à rejoindre ce matin, quand nous étions frais. Si seulement Number Three était garée là...
Notre imagination doit nous jouer des tours : on entend comme un bruit de moteur au loin. Suivi par…mais oui…un klaxon !

Il doit rester une voiture sur le parking ! Nous nous élançons aussi vite que nos jambes lourdes nous le permettent…sûr qu’ils vont partir avant qu’on soit en vue !
Le sprint est efficace et nous arrivons hors d’haleine sur le parking, au moment où un homme s’apprête à prendre place dans un pick up où l’attend le conducteur.
Nous avons du mal a y croire : le timing est juste parfait ! Une minute de plus, ou si le conducteur impatient n’avait pas klaxonné, et nous ne les aurions jamais vus !
Sauf que nous déchantons rapidement : leur voiture est pleine à craquer (on se demande même comment ils vont y tenir tous les deux). La déception est amère…mais c’est sans compter sur la débrouillardise des deux compères.
Nous voilà embarqués à l’arrière du véhicule, en équilibre instable sur la planche arrière rabattue, accrochés l’un à l’autre, les jambes levées pour que nos pieds ne buttent pas contre les rochers qui jonchent la piste…on n’ose pas parler de peur d’avaler la poussière mais ne pouvons nous empêcher d’éclater de rire : quel coup de bol !
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire le pick-up avale les 2.4 miles qui nous séparent du 1er parking. Nous remercions chaleureusement nos sauveurs et reprenons Number Three, encore sonnés notre chance. Je rappelle à Monsieur Pizza que je lui avais bien dit que quelqu’un nous ramènerait forcément !
C’est donc doublement ravis que nous reprenons le Burr Trail en sens inverse.
A Boulder nous cherchons notre hébergement du soir, le Boulder Mountain Guest Ranch, un peu en dehors de la ville. J’aurais souhaité un hôtel plus abordable et plus près du centre pour l’accès aux restaurants mais l’offre est limitée dans le secteur.
Nous nous engageons sur la Hell’s Backbone Road alors que la lumière décline doucement.
Voilà le ranch…mais c’est juste parfait ce cadre ! Un vrai ranch comme dans notre imaginaire, poules et chevaux courent devant nous, un enfant sur un tracteur nous salue au passage. Nous sommes sous le charme avant d’avoir franchi le pas de la porte, et l’intérieur nous ravit : un vrai petit cocon douillet, tout est confortable et chaleureux.
Nous n’avons plus le courage de reprendre la route pour aller manger à Boulder, ce sera donc repas au restaurant de l’hôtel. Choix par défaut qui s’avérera excellent, nous nous régalons d’un délicieux burger pour l’un et assortiment de légumes fondants pour l’autre. Les produits sont de qualité et ça se sent. :P
Épuisés par cette journée riche en émotions, nous nous effondrons sur notre lit qu’on croirait sorti d’un conte de fées et sombrons dans le sommeil, pendant que dans la pièce voisine les notes de chansons traditionnelles irlandaises s’égrènent doucement.
Cette journée sera difficile à surpasser !
