Après la publication de l’article Les parcs naturels américains : mode d’emploi, nous vous proposons aujourd’hui d’aller plus loin pour approfondir vos connaissances sur ces merveilles de la nature.
Nous allons d’abord rappeler la genèse de ces parcs. Elle met en évidence la formidable volonté des Pères Fondateurs, ces visionnaires qui ont très tôt mesuré l’incroyable richesse mais aussi le fragile équilibre de ces remarquables marqueurs naturels et leurs combats contre vents et marées pour les protéger.
Nous égrènerons ensuite les dates marquantes de l’évolution des parcs naturels américains.
Enfin, nous n’oublierons pas les risques auxquels ils sont malheureusement exposés ; l’ignorance, la cupidité et la bêtise des hommes et de leurs lobbies ne sont pas les moindres…
La genèse
Lorsque le 1er mars 1872, le Président Ulysse Grant signe le décret créant le Yellowstone National Park afin d’en faire « un parc public ou terrain de loisirs mis à la disposition de la population à des fins récréatives et exempt d’exploitation mercantile », il n’imagine sans doute pas que, près de 150 ans plus tard, la superficie des parcs nationaux américains va représenter plus de 3 % du territoire national et un ensemble unique de réserves naturelles, pistes, littoraux, monuments et champs de bataille !
En vérité, le Yellowstone n’est pas tout à fait le premier parc… En 1864, en pleine guerre de sécession, le Congrès avait instauré une protection sur le Yosemite ainsi que sur les séquoias géants de « Mariposa Grove » en Californie.
Alors qu’en France, le 1er parc national (La Vanoise en Savoie) ne verra le jour qu’en 1963, soit un siècle après les États-Unis, qu’est-ce qui a pu motiver cet élan de l’autre côté de l’Atlantique ? Plusieurs raisons sans doute, notamment :
- Un complexe vis à vis de l’Europe et un de ses marqueurs les plus emblématiques : les incroyables richesses artistiques qui se croisent, se fondent, s’additionnent et se multiplient tout au long des siècles au gré d’influences culturelles diverses et d’une histoire riche et mouvementée.
- La reconnaissance par quelques visionnaires de l’exceptionnelle richesse naturelle des terres vierges du nouveau continent. Thomas Jefferson, un des piliers fondateurs de la République des États-Unis le disait déjà en 1784 : « Si ce n’est sa culture, la nature de l’Amérique au moins doit faire l’admiration du monde. »
- Les dégâts collatéraux de la ruée vers l’Ouest et son cortège de plaies : défrichage plus ou moins contrôlé, pillage anarchique des richesses d’une grande partie du pays et volonté de dompter cette terre vierge où tous les champs du possible semblaient ouverts… A un moment, le peuple américain a pris conscience de l’exceptionnelle qualité des paysages qui l’entourent.
![Parc du Yellowstone](https://www.sunsetbld.com/wp-content/uploads/2018/10/parc-yellowstone.jpg)
A noter que dès le début de ce mouvement, au-delà de la nature elle-même, la volonté était également de protéger les tribus indiennes.
Cette évolution ne s’est pas faite sans drames… Entre les tenants d’un développement raisonné et les partisans d’une protection pure et dure, les débats durent depuis le début du 20ème siècle. L’actualité toute récente montre bien que ceux-ci sont (très) loin d’être clos avec des tentatives régulières de remise en cause de ce que d’aucuns considèrent comme acquis et la volonté de faire des accrocs aux contrats mis en place par les anciens ! On peut à cet égard rappeler les projets d’aménagement du Grand Canyon qui ressurgissent régulièrement…
Quelques dates clés
(source : Bureau des programmes d’information internationale du Département d’état des États-Unis. Les informations proviennent d’une publication de 2005 du Service des parcs nationaux, intitulée The National Parks : Shaping the System)
1872
Le Congrès américain décide de la création du parc national de Yellowstone, sur plus de 800.000 hectares de terres du Wyoming et du Montana. Il s’agit d’un « parc public ou terrain de loisirs mis à la disposition de la population à des fins récréatives ».
1890-1916
Le Congrès autorise la création de treize autres parcs aux paysages spectaculaires, dont les parcs nationaux de Mount Rainer dans l’État du Washington, de Yosemite en Californie et de Rocky Mountain au Colorado. Tous les sites ainsi désignés se trouvent dans l’Ouest américain.
![Yellowstone en voitures à cheval](https://www.sunsetbld.com/wp-content/uploads/2018/10/Yellowstone-voitures-a-cheval.jpg)
1906
L’adoption de la loi intitulée « Antiquities Act » (loi relative aux monuments anciens) reconnaît l’importance de préserver les sites amérindiens précolombiens et donne aux présidents américains carte blanche pour déclarer comme monuments nationaux des sites importants. En 1909, 18 sites avaient été inscrits sur la liste des monuments nationaux par le président Theodore Roosevelt.
1916
Le Congrès adopte une loi portant création du Service des parcs nationaux, qui relève du ministère américain des affaires intérieures et des domaines. Il a pour mission de gérer les 35 parcs et monuments dépendant de ce ministère.
1926
Le Congrès autorise la création des parcs nationaux de Shenandoah, Great Smoky Mountains et Mammoth Cave dans les Appalaches. L’établissement de parcs dans l’est des États-Unis permet à une plus grande partie de la population de profiter des parcs et accroît le soutien accordé au système des parcs au Congrès.
1930
Pour la première fois, des lieux sont inscrits sur la liste des parcs pour leur importance dans l’histoire nationale plus que pour leur beauté naturelle. Il s’agit notamment du lieu de naissance de George Washington en Virginie et de l’endroit où les Anglais se sont rendus aux forces américaines en 1783, mettant ainsi fin à la guerre d’Indépendance.
1933
La gestion des parcs et des monuments nationaux est regroupée au sein du Service des parcs nationaux. Il s’occupe dorénavant de sites relevant auparavant du ministère de la Guerre et du Service des forêts.
Le Corps civil de conservation (CCC) est créé dans le cadre du programme du New Deal, mis en place par le président Franklin D. Roosevelt pour lutter contre la dépression économique. En l’espace de quelques années, plus de 120 000 membres du CCC construisent dans les parcs nationaux des pistes de randonnée, des chalets et des installations touristiques.
1935
La loi intitulée « Historic Sites Act » (loi sur les sites historiques) est adoptée. Elle porte création d’une « politique nationale de préservation, pour l’usage du public, des lieux, bâtiments et objets historiques revêtant une importance sur le plan national, sources d’inspiration et d’intérêt pour le peuple des États-Unis ». Le Service des parcs nationaux est doté de vastes pouvoirs afin de mettre en œuvre cette politique.
![Premières voitures à Yellowstone](https://www.sunsetbld.com/wp-content/uploads/2018/10/Yellowstone-premieres-voitures.jpg)
1964
La loi intitulée « National Wilderness Preservation System Act » (loi sur le système de préservation de la nature sauvage nationale) est adoptée. Elle vise à protéger les zones « où la terre et ses formes de vie ne sont pas encombrées par l’homme, où l’homme lui-même n’est qu’un visiteur qui ne fait que passer ».
1968
Le président Lyndon Johnson promulgue les lois intitulées « National Trails System Act » (loi sur le système national des pistes et sentiers) et « National Wild and Scenic Rivers System Act » (loi sur le réseau national des rivières sauvages et touristiques). La première loi prévoit, pour la première fois, la création de pistes de randonnée accessibles depuis les zones urbaines et de pistes touristiques dans des régions reculées.
1978
La loi intitulée « National Parks and Recreation Act » (loi sur les parcs nationaux et parcs de loisirs) ajoute 15 nouveaux sites au système des parcs. Le Parc national de loisirs des montagnes de Santa Monica, en Californie, figure parmi ces sites. Il offre des paysages allant de terrains montagneux accidentés à des plages de sable et des rivages rocailleux.
1980
La loi intitulée « Alaska National Interest Lands Conservation Act » (loi sur la préservation des terres présentant un intérêt pour la nation en Alaska) est adoptée. Elle augmente de 50 % la superficie des terres dépendant du Service des parcs nationaux, qui atteint ainsi près de 20 millions d’hectares.
1981
Le Programme de restauration et d’amélioration des parcs est lancé. Plus d’un milliard de dollars seront consacrés sur cinq ans au maintien et à la modernisation des ressources et des installations des parcs.
2006
Le président George W. Bush présente l’Initiative du centenaire des parcs nationaux, qui crée à l’intention des parcs un fonds de contrepartie des contributions versées par les pouvoirs publics et des dons philanthropiques, à l’approche du centième anniversaire de la création du système.
2016
Centième anniversaire du Service des parcs nationaux (lire notre article dédié avec les hommages de notre communauté).
Les menaces qui pèsent sur les parcs américains
Au risque que les Pères fondateurs se retournent dans leur tombe, de nombreuses menaces pèsent sur l’avenir et l’équilibre des parcs :
– La croissance urbaine, notamment en Californie, état qui possède le plus grand nombre de parcs nationaux : détournement et captation des eaux des lacs, fleuves et rivières pour alimenter les villes et l’agriculture intensive.
– Les ravages de l’agriculture industrielle et intensive : assèchement des marais, utilisation intensive de pesticides, d’engrais et de fongicides.
– La surexploitation touristique : plus de 400 millions de visiteurs (américains et étrangers) fréquentent chaque année les parcs ; les problèmes de logistique et d’aménagement deviennent insurmontables pour certains d’entre eux.
– La cohabitation avec les animaux sauvages qui s’habituent aux hommes, à leurs habitudes et à leur mode de vie (goût pour leur nourriture notamment) : les problèmes de sécurité liés à cette évolution sont réels.
– Les choix politiques récents qui pourraient avoir une influence déterminante au profit des lobbies qui œuvrent pour un accès moins restrictif à l’exploitation des richesses naturelles cachées dans le sous-sol de ces millions d’ha de nature brute… A ce titre, l’administration Trump, en signant dès 2017 un décret réduisant de 40 000 hectares la surface de certains sites naturels dépendant du National Park Services situés dans le Vermilion Cliffs NM ainsi qu’à Bear Ears (Utah et Arizona), fait marche arrière sur le « Antiquities Act » de 1906 et annule de fait les décrets signés par les Présidents Obama et Clinton.
A cela il faut sans doute ajouter le problème des ressources et du financement de ces parcs.
![Mont Rushmore USA](https://www.sunsetbld.com/wp-content/uploads/2018/10/mont-rushmore.jpg)
En conclusion
Les menaces qui pèsent sur ces sites d’une grandeur et d’une majesté sans équivalents semblent peser plus lourdement que les rares opportunités qui leur sont proposées.
Il y a moins de 2 siècles, des femmes et des hommes se sont levés et se sont unis, animés d’une vision et d’un idéal qui transcendaient leur nouvelle République.
Formons le vœu que le flambeau ne s’éteigne pas afin que les générations futures puissent jouir, après nous, de ces marqueurs originels qui font la singularité et la richesse de ces États-Unis d’Amérique.
Ne l’oubliez jamais lorsque vos pas vous mèneront dans l’un ou l’autre de ces parcs…
- Sources : Bureau des programmes d’information internationale du Département d’état des EU, Encyclopédia Universalis, Wikipédia
6 Commentaires. En écrire un nouveau
Bel article, synthétique et bien écrit. Merci !
Bonsoir,
Un grand merci à vous pour vous être intéressé à cet article ; je suis ravi qu’il ait rencontré votre intérêt.
Je pense qu’il est toujours bon de connaître l’histoire des sites visités et de savoir à quels risques et opportunités ils sont confrontés ; cela permet de mieux mettre les choses en perspective.
Encore merci à vous !
Passionnant cet article ! Quand je pense que tous ces acquis historiques pourraient être balayés en raison d’intérêts économiques, ça fait froid dans le dos et je me dis qu’il faut profiter de cette nature préservée tant que c’est encore possible !
Hello 6sous !
Comme tu as mille fois raison … Je partage complètement ton analyse. Il faut donc sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier afin que tous ces acquis ne soient pas galvaudés. Merci encore à toi pour l’intérêt que tu portes à cette question sensible.
Walker
Hello,
Article très intéressant, notamment les menaces…
La conclusion est alarmante et belle.
Merci !
Hi Alixcia !
Merci à toi pour ton commentaire.
Alors qu’on croyait que toutes les actions mises en œuvre depuis plus d’un siècle pour protéger ces merveilles de la nature étaient acquises, le réveil est douloureux …
Malgré tout, mon éternel optimisme me pousse à croire qu’il y aura toujours des gens courageux pour poursuivre le combat. Ça passe également par nous tous qui aimons tant parcourir ces merveilles : il est essentiel que le plus grand nombre soit sensibilisé aux risques qu’elles courent.
Encore merci à toi pour ton attention. Walker