" Tsé Bii Ndzisgaii " La Vallée des Rocs ...
Nous sommes
Mardi 7 Mai ...
Le paysage minéral s'éveille ; je jette un coup d'oeil furtif par la fenêtre et constate avec soulagement que le décor n'a pas été démonté pendant la nuit ...
C'est la
" promesse de l'aube " , la friandise qu'on agite pour attiser la convoitise des gourmands depuis la veille et qu'on va enfin pouvoir savourer ...
La Vallée Monumentale !
Aujourd'hui c'est jour de tournage pour nous 5 , l'ultime occasion de voir se dérouler le script tel que prévu .
Un seul
Rush sera possible , il s'agit de ne pas le rater !
L'accessoiriste
divin a oublié de repeindre le ciel en bleu

...mais qu'importe , l'essentiel est que la pluie ne s'invite pas inopinément , car nous avons décidé de supprimer du scénario les scènes aquatiques ...
La "
diligence " est fin prête , et les chevaux piaffent d'impatience !
Le
Welcome point est à peine à quelques miles ; à mesure que nous en approchons , l'horizon semble se rétrécir et les
Mesas se font plus " aguichantes " et " enflent " à vue d'oeil ! :P

Nous nous acquittons des 5 x 5 $ nous autorisant à accéder au studio de tournage .
Un poète itinérant en veine d'inspiration en a susurré la définition idéale :
" Where the Earth meets the Sky " .
Le " fauteuil d'orchestre " est occupé par le V.I.P. de l'hôtellerie locale :
The View ! , dont le parking à cette heure matinale , connaît une agitation de circonstance , car les bus de touristes ont décidé de troubler la quiétude des 4x4 encore assoupis des
sheerpas Navajos prêts à défendre leur territoire .
Notre valeureux
four wheels drive , s'extirpe avec brio des toutes premières ornières de la piste qui débute ici .
Ce premier raidillon , délicat à négocier , est propre à décourager la
charge légère des
Ford Mustang qui s'y aventureraient ...Mais ce sera le seul " obstacle " notable( qui aura pu néanmoins faire renoncer certains à aller plus avant) .
Sitôt cette tentative de dissuasion de la piste, avortée , c'est rapidement carrossable ...

la preuve ...
Bien que se faisant désirer , la
vallée a la sulfureuse réputation d'être volage et d'offrir ses charmes à de nombreux amants et maîtresses .
Mais ce matin là , elle semble s'être résignée à la sagesse , nous autorisant à partager son intimité en toute confidentialité .
Nous ne croiserons , en tout et pour tout , QUE 3 autres véhicules !
(Tout comme à
Zion pour notre rando. matinale aux
Emerald pools, nous ne rencontrerons le 1er flot de "visiteurs" , qu'une fois la boucle accomplie ).
Voilà comment les impondérables qui étaient censés contrarier le bel ordonnancement d'un emploi du temps psychorigide , se muent en avantage , n'en déplaise au
road-book , vexé par cette
nouvelle entorse à ses convictions ...
Le
film s'intitulera par conséquent : " We Were lucky guys ! "
Nous pénétrons dans un nouvel " atelier de sculpteur " , à ciel ouvert et si vaste que l'artiste a pu y disséminer ses oeuvres dont l'accomplissement a nécessité plusieurs millions d' années !
L'ensemble dégage une impression d'inachevé , comme si l'architecte avait eu à déserter les lieux dès l'imminence de l'arrivée des premiers humains .
les monolithes furent sans doute martelés par un
outil d'airain , dont la noblesse de la matière possédait seule le pouvoir divin de les façonner , déposant à leurs pieds quantité de poussières de roches prêtes à se répandre en nappage orangé sur la plaine , aux moindres caprices du vent .
" L'airain retentissant dans sa haute demeure
Sous le marteau sacré tour à tour chante et pleure
Pour célébrer l'hymen , la naissance ou la mort
J'étais comme ce bronze épuré par la flamme
Et chaque passion en frappant sur mon âme
En tirait un sublime accord."
Alphonse De Lamartine : le poète mourant
La
rouille y tient une place prépondérante , subtile union des oxydes dominants : le
rouge ferrugineux , strié des coulées sombres du manganèse autrement nommées :
" vernis du désert " ...
La " lecture " d'un tel ouvrage est différente de ce qu'on peut en faire à
Bryce , ou à
Antelope ; ici tout trahit la force brutale des éléments qui n'ont laissé aucune place à la ciselure , incarnant l'inébranlable solidité du roc .

L'évidente fragilité des
hoodoos a cédé la place à ces masses gargantuesques , " boulonnées " à leurs socles afin de défier l'invulnérabilité .
Les stuctures qui en découlent illustrent , sans aucune forme de sexisme , la dualité architecturale des formes
féminines et
masculines , livrant un ouvrage
brut de décoffrage qui exclut la rondeur chère à l'art
Feng Shui .
Seules les "
Trois soeurs " , préoccupées par leur ligne et nourries au régime draconien de l'érosion , sont parvenues à acquérir une apparence diaphane qui contraste avec la force brute du reste de la fratrie .
The three sisters
Par mimétisme , un incongru
groupe de danseurs occupe les confins de la scène .
YEI BI CHEI : " rangée de danseurs ..."
Ces monolithes ont , dans le rituel Navajo , le pouvoir surnaturel de soigner
A droite le
Totem Pole , haut de plus de 180 mètres , est supposé concentrer l'énergie des prières et faire venir la pluie ...
Le géniteur de ce qu'on nomme ici
Monument , a une culture diversifiée qui a nourri ses désirs " éléphantesques " ...
Elephant butte
...et son intérêt pour la " géométrie " ...
Usé par son chantier " pharaonique " , l'artiste a crié :"
Pouce ! "...
The Thumb ( le pouce ...)
...et s'est abstenu pour l'éternité de continuer à essaimer ses créations dans ce
décor de cinéma qui dès lors devint son complice , afin d'être immortalisé à jamais , dans les mémoires et sur les écrans .

C'est ainsi que , jetant son dévolu sur cette vallée ,
John Ford y " tua "
virtuellement , plus d'indiens que
Custer et consort réunis ...avec l'aide des étoiles montantes du
Western.
Forrest Gump viendra y " affuter " ses basketts pour un footing d'anthologie ...
Thelma et Louise y achèveront tragiquement leur road-moovie ...
Un improbable véhicule de
Retour du futur viendra y semer la panique parmi les
Apaloosas...
Sans oublier l'épisode émouvant des
Wind Talkers, ces
Messagers Du Vent , indiens Navajos héros de la 2ème guerre mondiale , ayant permis à l'armée des Etats Unis d'utiliser leur dialecte à des fins de langage codé , que les japonais ne purent jamais décrypter !
Les Wind Talkers
