Le 23 décembre 1823, The Sentinel, journal de la petite ville de Troy (New York), publie un poème anonyme, Twas the Night Before Christmas (La Nuit avant Noël). Il y est question d’une veillée de Noël, d’un traîneau et de huit rennes volants. Ce poème, que tous les petits américains connaissent aujourd’hui par cœur, a traversé le temps et les frontières et a non seulement révolutionné notre vision occidentale du vieux barbu à cape rouge, mais a aussi réinventé le mythe du Père Noël : son allure générale, ses vêtements et autres accessoires, son traîneau et ses rennes… Mais qui en est le mystérieux auteur ?
En attendant le Père Noël
Il s’agit du professeur de lettres et de théologie new yorkais Clement Clarke Moore (1779-1863), poète à ses heures perdues. Il aurait écrit cette poésie pour ses six enfants afin de les distraire en attendant le Père Noël. Il ne souhaitait pas que ses quelques vers ne sortent du domaine privé et familial, mais c’était sans compter sur une certaine Miss Hariett, une amie de la famille. Cette dernière aurait été tellement charmée par le poème, qu’elle l’aurait subtilisé à son propriétaire afin de l’envoyer à Orville L. Holly, éditeur du journal local de Troy, sans le consentement de l’auteur. Un mythe tient parfois à peu de choses…
Twas the Night Before Christmas sera par la suite republié, sous deux autres titres : A Visit from St. Nicholas et The Night Before Christmas. Les versions ne trahiront pas l’œuvre de Moore en profondeur, seules quelques différenciations seront à noter dans les noms des rennes (ce qui aura plus tard quelques conséquences).
En 1844, poussé par ses enfants, le professeur (qui rêvait d’être reconnu pour ses écrits plus érudits) finira par reconnaître la paternité de son poème de Noël qui sera à nouveau édité dans une anthologie de poésie.
La controverse
Après le décès de Moore en 1863 naîtra une controverse. Les descendants d’un certain Henry Livingston, Jr. (1748-1828) prétendront avoir entendu le fameux poème en 1807, de la bouche de leur propre père, alors qu’ils étaient enfants.
Depuis lors, de nombreuses investigations et recherches pointues ont été menées par des professeurs, des historiens et des chercheurs (la dernière remonte à 2000). Reste que, de son vivant, Livingston n’a jamais revendiqué être l’auteur du poème. Des experts en linguistique et en calligraphie ont avancé diverses théories sur l’origine possible du nom des rennes tels qu’ils apparaissent dans le manuscrit de Moore (néerlandais, langue que Moore ne parlait pas…), mais d’autres thèses sont venues contrecarrer les premières conclusions. Le mystère reste entier aujourd’hui encore.
Malgré tout, on peut noter que les descendants des deux auteurs supposées savent s’amuser de leur héritage. Le 7 décembre 2014, à Troy, les deux familles ont organisé un simulacre de procès, dans une ambiance festive, amicale et bon enfant. Le juge était un vrai juge… mais retraité, et on choisit les 6 membres du jury parmi les spectateurs ! Le verdict, unanime, a été en faveur de Livingston.
A la rencontre de Moore…
Si vous séjournez à New York et que vous souhaitez marcher sur les traces de Clement Clarke Moore, c’est possible ! Deux parcs publics ont été baptisés en son honneur.
Dans le borough de Queens, au croisement de la 83rd Street et de Broadway, vous trouverez le Clement Clarke Moore Homestead, construit sur un terrain ayant appartenu au 17ème siècle au Capitaine Samuel Moore, l’arrière grand-père de Clement.
Quant à l’autre parc, il s’agit d’un petit terrain de jeux, situé à Chelsea, et destiné aux enfants du quartier. En 1750, le grand-père de Clément, le Capitaine Thomas Clarke (retraité de l’armée britannique) avait fait construire sur ce site une ferme qu’il avait baptisée Chelsea, en hommage à l’armée britannique et au célèbre hôpital militaire de Londres. Cette propriété familiale a vu par la suite étendre sa superficie dans une zone délimitée aujourd’hui par la 19th Street au sud, la 8th Avenue à l’est, la 24th Street au nord et la Hudson River à l’ouest… (une large partie l’actuel quartier de Chelsea).
C’est Clement Clarke Moore lui-même qui, en 1830, céda la ferme familiale à la classe new yorkaise ouvrière et c’est ici même que fut construite en 1850 la High Line, la célèbre voie ferrée, aujourd’hui réaménagée en magnifiques jardins suspendus. Si vous vous baladez dans le secteur, descendez au niveau la 22nd Street, et songez qu’ici, il y a près de 100 ans vivait l’homme qui a réinventé le Père Noël !
Et après ?
Le Père Noël doit beaucoup aux artistes américains du 19ème siècle qui ont tous, à leur façon, modifié l’image du St Nicolas venu des Pays-Bas deux siècles plus tôt ; ces hommes ont influencé sans le savoir notre monde actuel. Moore s’était d’ailleurs inspiré des travaux de plusieurs illustrateurs et inspirera à son tour quelques talentueux journalistes. Vous serez peut-être surpris d’apprendre que, contrairement à l’idée reçue, Coca Cola n’a pas du tout inventé l’image actuelle du Père Noël mais a simplement habilement réutilisé son image… mais tout cela est une autre histoire que je vous conterai prochainement…
Le poème, libre de droits, est téléchargeable gratuitement et légalement sur le site du Projet Gutenberg, diverses éditions anciennes sont disponibles sur le site Visit from St. Nicholas, et les différentes versions du poème sont consultables sur Wikisource.
La Nuit avant Noël
(Clement Clarke Moore, 1823)
C’était la nuit de Noël, un peu avant minuit,
À l’heure où tout est calme, même les souris.
On avait pendu nos bas devant la cheminée,
Pour que le Père Noël les trouve dès son arrivée.
Blottis bien au chaud dans leurs petits lits,
Les enfants sages s’étaient déjà endormis.
Maman et moi, dans nos chemises de nuit,
Venions à peine de souffler la bougie,
Quand au dehors, un bruit de clochettes,
Me fit sortir d’un coup de sous ma couette.
Filant comme une flèche vers la fenêtre,
Je scrutais tout là haut le ciel étoilé.
Au dessus de la neige, la lune étincelante,
Illuminait la nuit comme si c’était le jour.
Je n’en crus pas mes yeux quand apparut au loin,
Un traîneau et huit rennes pas plus gros que le poing,
Dirigés par un petit personnage enjoué:
C’était le Père Noël je le savais.
Ses coursiers volaient comme s’ils avaient des ailes.
Et lui chantait, afin de les encourager:
« Allez Tornade!, Allez Danseur!
Allez , Furie et Fringuant!
En avant Comète et Cupidon!
Allez Éclair et Tonnerre!
Tout droit vers ce porche,
Tout droit vers ce mur!
Au galop au galop mes amis!
Au triple galop! »
Pareils aux feuilles mortes, emportées par le vent,
Qui montent vers le ciel pour franchir les obstacles,
Les coursiers s’envolèrent, jusqu’au dessus de ma tête,
Avec le traîneau, les jouets et même le Père Noël.
Peu après j’entendis résonner sur le toit
Le piétinement fougueux de leurs petits sabots.
Une fois la fenêtre refermée, je me retournais,
Juste quand le Père Noël sortait de la cheminée.
Son habit de fourrure, ses bottes et son bonnet,
Étaient un peu salis par la cendre et la suie.
Jeté sur son épaule, un sac plein de jouets,
Lui donnait l’air d’un bien curieux marchand.
Il avait des joues roses, des fossettes charmantes,
Un nez comme une cerise et des yeux pétillants,
Une petite bouche qui souriait tout le temps,
Et une très grande barbe d’un blanc vraiment immaculé.
De sa pipe allumée coincée entre ses dents,
Montaient en tourbillons des volutes de fumée.
Il avait le visage épanoui, et son ventre tout rond
Sautait quand il riait, comme un petit ballon.
Il était si dodu, si joufflu, cet espiègle lutin,
Que je me mis malgré moi à rire derrière ma main.
Mais d’un clin d’œil et d’un signe de la tête,
Il me fit comprendre que je ne risquais rien.
Puis sans dire un mot, car il était pressé,
Se hâta de remplir les bas, jusqu’au dernier,
Et me salua d’un doigt posé sur l’aile du nez,
Avant de disparaître dans la cheminée.
Je l’entendis ensuite siffler son bel équipage.
Ensemble ils s’envolèrent comme une plume au vent.
Avant de disparaître le Père Noël cria:
« Joyeux Noël à tous et à tous une bonne nuit »