L’attraction principale de la journée est la route elle-même : l’UT12, rebaptisée l'Utah's Scenic Byway 12, route classée parmi les plus belles des États-Unis.
On va la quitter une première fois à Boulder pour faire une partie goudronnée de la Burr Trail Road (après ça devient plus sportif et ce n’est pas vraiment notre route). Les paysages sont superbes et on ne regrette pas cet aller-retour d’une quarantaine de km en dehors de notre itinéraire.
On reprend l’UT12 et les beaux paysages défilent, l’altimètre aussi, qui monte à plus de 3000 m. Dans la descente, à un moment, la route suit une crête sur plus de trois km offrant une spectaculaire vue à 360°.
Vers midi on s'arrête pour pique-niquer au bord d’un petit torrent dans une gorge sauvage où serpente l’UT12. L’estomac rempli, Marcia exprime une envie pressante d’un bon cappuccino… Notez bien que même si elle avait voulu un café dégueulasse américain, cela aurait été de toutes façons assez difficile : cela fait des km qu’on n’a pas vu un village, ni même une maison et je sais que ça va continuer encore un moment. Mais Marcia est une femme positive, elle en a envie donc elle y croit et si elle y croit c’est que c’est possible et si c’est possible pourquoi ne pas y croire (coucou, vous êtes encore là ?).
Bon, je me moque un peu d’elle et lui oppose la logique implacable des faits. Puis je prend à mon tour le volant. Je roule à peine depuis 2 ou 3 km que je vois une construction avant-gardiste érigée sur un promontoire rocheux surplombant la route au bord de laquelle un panneau, comme pour me narguer, affiche “Kiva Koffehouse & Kottage”. J’ai la présence d’esprit d’accélérer mais trop tard, Marcia l’a vu aussi. Je fais semblant d’ignorer le sourire qu’elle esquisse et me console en imaginant la grimace qu’elle fera en buvant son café dégueulasse américain.
On se gare, le bâtiment a la forme d’une kiva - maison semi-enterrée des indiens pueblos - et est vraiment très chouette avec une structure en bois et de grandes baies vitrées donnant sur le canyon et… oh my God… ils ont du cappuccino, de l’expresso, du café latté, etc ! Je retiens mes larmes comme je peux le temps de sortir en prétextant avoir oublié mon porte-monnaie dans la voiture où j’éclate en sanglots à l’abri des regards, de son regard.
Plus tard, je découvrirai que cette étape inattendue est décrite dans le Guide du Routard et un affreux soupçon me titille depuis...
La deuxième escapade hors de l’UT12 survient sur un coup de tête en voyant un panneau “Posy Lake”. On se dit qu’un petit lac pour faire trempette, pourquoi pas. Comme il n’y a aucune indication de distance, on demande à un fermier au bord de la route. Posy Lake ? Il nous fait répéter deux fois pour être sûr, tellement il semble incrédule. 22 km. On hésite un peu quand même : on ne sait même pas s’il s’agit d’une flaque d’eau pour du bétail ou d’un vrai lac.
On se regarde dans les yeux (Marcia et moi, pas le fermier), on se dit qu’on s’aime, on s’embrasse, puis Marcia écrase fougueusement l’accélérateur, les yeux brillants. Ses yeux brillent un peu moins quand deux km plus loin la route devient une piste poussiéreuse et qu’il faut ralentir sérieusement.
Puis doucement mais sûrement la piste commence à monter et le paysage devient sylvestre. On arrive enfin et on tombe sur l’étonnant spectacle d’un couple et de leur gosse pêchant tout seuls au bord d’un lac de montagne comme chez nous, avec encore de la neige sur la rive. C’est le calme absolu, loin de tout (20 km de piste en terre sans aucune indication, c’est dissuasif), à plus de 2000 m d’altitude. On reste là un moment, contemplatifs, nous laissant envahir par une grande paix intérieure…
Moi : Mais comment ai-je pu me faire piéger ainsi tout à l’heure ?
Elle : Tu as vu comment je lui ai fait bouffer cette intuition qu’il moque sans arrêt !
Mais l’heure tourne, il faut déjà repartir.
On arrive enfin à Bryce Canyon Village où on doit s’y reprendre à trois fois avant d’avoir une chambre ok (ils ont fini par nous surclasser). Puis on va voir le coucher de soleil sur Bryce Canyon National Park. Une fois encore, ce n’est pas le coucher de soleil idéal mais le site est tellement extraordinaire qu’on n’est pas du tout frustrés. On reste même jusqu’à l’heure bleue, ce moment magique et souvent oublié où, après le coucher de soleil, le ciel prend parfois une teinte bleue saturée.
les photos