Jour 8 : vendredi 19 avril 2013
Middle of Nowhere
Partie 1 : Et ils désobéirent au ranger…
Mon sommeil est agité en fin de nuit : la peur de rater le lever de soleil doit fortement influencer mes rêves…je m’imagine dans un premier temps en compagnie de Laura Ingalls qui n’arrive pas à dormir, puis sombre finalement peu avant le lever de soleil que nous ratons donc. Je revis ensuite notre arrivée de la veille à l’hôtel (à M Pizza et moi-même, plus de Laura qui doit dormir quelque part dans la prairie), où cette fois nous prenons possession d’une chambre luxueuse mais…avec vue sur le parking ! Nous ratons donc le lever de soleil.
Mais finalement le réveil fonctionne et je me lève en temps et en heure. Le ciel nocturne commence juste à se teinter de rosé. Je fais ma toilette en vitesse pendant que M Pizza dort comme un bienheureux, puis je rejoins la terrasse du lobby où patientent des hordes de photographes. Chacun cherche une place de choix. Pas facile, les pros ont déjà disposé des plots en plusieurs endroits, limitant les accès. A ma gauche on se croirait dans un shooting pour une pub : un groupe a mis en place une grande plaque pour réfléchir la lumière, afin de diriger les premières lueurs du soleil sur les personnes qui posent. Les différents membres se font prendre en photo les uns après les autres, même le chien y aura droit !
Il ne fait pas chaud, tout le monde souffle dans ses mains et tape la semelle sur le sol.
Le ciel s’éclaircit peu à peu. Bientôt une boule dorée surgit derrière les buttes, masses noires à l’horizon. Un étrange bruit envahit alors l’air : le cliquetis frénétique de dizaines et dizaines de doigts gourds sur les déclencheurs de leurs appareils…
Très rapidement la foule se disperse, chacun étant sans doute pressé de se réchauffer (certains sont partis si vite que je les imaginais en train de cocher « check ! » dans leur guide avant de foncer « faire » le reste des USA avant la fin de la semaine…) C’est fort dommage à eux car le spectacle devient intéressant. Jusque là, si l’instant était émouvant, l’intérêt photographique me paraissait quand même relativement limité : photographier à contre jour n’est pas l’idéal ! Mais maintenant que le soleil est un peu plus haut, la lumière est très belle sur les buissons et les rochers au premier plan.
Je savoure ce lever de soleil jusqu’au moment ou la lumière perd sa teinte dorée, puis retourne dans la chambre où M Pizza se prépare. Nous nous rendons au restaurant de l’hôtel prendre le petit déjeuner. Il y a du monde mais nous trouvons tout de suite une place près de la fenêtre. Chic, on pourra profiter de la vue jusqu’au bout !
Le petit déjeuner au View est un mélange entre buffet et service à table : les serveurs fournissent à la demande boissons chaudes et bacon, le reste étant disposé en libre service le long d’un mur, juste en face du soleil encore bas.
Du coup c’est assez amusant de regarder le ballet des gens en train de se servir…les clients, aveuglés, ont du mal à distinguer les plats proposés. Mais oppressés par le sentiment de la foule des gens qui fait la queue pour se sustenter, redoutant de faire attendre les autres, certains jettent un œil inquiet sur leurs voisins (au demeurant impassibles), croisant malencontreusement au passage la trajectoire d’un rayon qui les aveugle à nouveau, et finissent en désespoir de cause par piocher ce qui se trouve devant eux…
D’autres, plus malins (habitués des lieux ou mégalomanes ?) ont leurs lunettes de soleil, pas bête !
Au menu à notre table :bagels extrêmement blancs, toasts, une sorte de pain perdu, hashbrowns avec de la sauce tomate piquante, pastèque et melon. Il était également possible de se servir de muffins, œufs, céréales, yaourts ou gravy.
Je discute quelques minutes avec un couple de français devant le grille pain qui vient de sauter (au sens « panne électrique » du terme).
C’est donc repus que nous quittons Monument Valley. La route vers Mexican Hat ne nous est pas familière, mais quand on regarde dans le rétroviseur ça change tout….
Ça ne vous dit rien ? Mais si, faites un effort…
Aaaaaah mais oui !
Malgré les réticences de M Pizza, je tiens à me mettre quelques instants dans la peau de celui dont je tiens un de mes surnoms et m’élance sur la route !
(J’ai toujours aimé courir pour un rien, ça me prend comme ça, dans la rue, dans la maison, au travail…du coup un ami à l’université m’avait surnommée « Mme Gump », et me lançait régulièrement : « cours Forrest, cours ! » ce à quoi je lui rétorquais « j’arrive Jenny !»)
Nous voilà donc partis vers notre prochaine étape, la partie Needles de Canyonlands. Notre premier parc national est à un peu moins de 3 heures de route d’ici.
Nous passons sans nous y arrêter devant Mexican Hat et son emblématique formation rocheuse. Une pub devant une station service nous fait bien rire :
Le coin regorge de points d’intérêt (Valley of The Gods, Goosnecks, Muley Point, Natural Bridges, Road Canyon pour ne citer qu’eux) mais nous avons du faire des choix. Nous poursuivons donc et traversons Blanding et Monticello où quelques flocons de neige saluent notre passage, heureusement vite oubliés au retour du soleil.
Nous quittons la route 191 pour emprunter la splendide route 211.
De loin on croirait une religieuse (la pâtisserie, hein) …
…de près c’est carrément Jabba le Hut !
Le paysage est à la hauteur des descriptions que j’avais pu en lire : on retrouve les douces couleurs croisées à Page (rose et vert pâle notamment), mais ici la végétation agrémente le paysage. Les montagnes enneigées ajoutent une touche de bleu au décor.
Nous arrivons à Newspaper Rock, « Tsé Hone », magnifique panel de pétroglyphes situé au bord de la route. Ils sont gravés dans le noir vernis du désert déposé sur la roche rouge de navajo sandstone. Nous admirons les dessins, d’une impressionnante variété. Je craque particulièrement sur un bison d’une grande finesse, une sorte d’écureuil volant et d’étranges bêtes à cornes ressemblant un peu à des ours. Incroyable d’arriver, en un trait, à faire émerger tant de force !
Nous reprenons la route, croisant de gros rochers ocres, rouges ou bordeaux. Certaines formations ressemblant à de gros quatre-quarts marrons ! Un peu plus loin, apercevant des sortes de mittens, on a un peu l’impression d’être de retour du côté de Monument Valley. Le tout est saupoudré de touches blanches, vestiges d’une neige pas si lointaine.
Ce coin est vraiment splendide, une explosion de couleurs et de végétation repose le regard après les belles étendues désertiques de la veille.
Arrivés à Canyonlands (c’est beau mais c’est loin de la route), on paye nos 10$ de dû. Le ranger nous remet un prospectus et nous fait un petit speech sur le sol cryptobiologique. Cette croûte est formée par l’activité de micro-organismes (cyanobactéries) qui développent des micro filaments entre les grains de sable. Cette croûte permet aux bactéries de vivre, de ce fait elles fournissent au sol de l’engrais et en cas d’humidité, les filaments stockent l’eau et ralentissent l’érosion.
Wouah !
Bon on va éviter de marcher dessus alors.
Nous avions envie de faire la randonnée Chesler Park – Joint Trail mais savions que le timing serait très serré. Il est midi passé et peut être trop tard pour se lancer. Du coup nous passons au visitor center demander l’avis d’un ranger… avis sans appel : Pas possible, il faut 6 à 7h de marche. Il nous regarde avec de gros yeux et nous déconseille FORTEMENT de nous lancer là dedans.

Il nous suggère de nous rendre jusqu’au View point de Chesler Park puis de faire demi-tour. On le remercie pour ses bons conseils et reprenons Taléklé en direction du parking d’Eléphant Hill. Je suis perdue dans mes pensées…
Pendant que nous avalons rapidement un sandwich, je fais part à M Pizza de mon intention de tenter quand même le coup. Après tout il n’est pas encore 13h ! Il me demande avec circonspection : « tu veux désobéir à un ranger ? » Je balaie cet argument d’un revers de main : « on peut toujours commencer…et faire demi-tour, non ? »

Le regard que me lance M Pizza veut tout dire, il a bien compris que dans ma bouche cette phrase a priori prudente signifiait « on va le faire quitte à devoir sprinter comme des malades », mais il accepte de tenter l’aventure ! Pas de temps à perdre, on fonce, go, go, go !!!!
On s’engage donc avec enthousiasme sur le chemin entre les bosquets de résineux. Très vite on longe des formations rocheuses, puis on les surplombe. Déjà la vue se dévoile : derrière nous les La Sal Mountains enneigées, devant nous les champignons rocheux caractéristiques du secteur Needles de Canyonlands.
Autour de nous des pools (et non des poules n’est ce pas), ces creux d’eau si précieux sous ces latitudes, des buissons d’un vert profond, des roches rouges et jaunes…c’est magnifique !
Dommage que ça ne rende rien sous ce ciel gris
Je prends beaucoup de plaisir à repérer les cairns : non seulement ils nous indiquent la route à suivre (c’est pas mal ça…) mais en plus ils apportent une touche de couleur supplémentaire. En effet, sûrement pour qu’on les voie plus facilement, leurs constructeurs ont pris soin d’utiliser quasi systématiquement une roche d’une couleur différente de celle du sol. On peut ainsi admirer une succession de monticules de pierres jaunes sur fond rouge et vice versa (puissance 4 !). Ils en deviennent de vraies œuvres d’art !
Nous passons dans une faille puis sur une vaste étendue de roche. La vue sur les immenses rochers ronds est impressionnante.
Tiens, deux hommes devant nous sont penchés sur une carte. On s’arrête.
Oui, décidément on fait TRÈS fort….non seulement on a décidé de faire fi des conseils du ranger en entamant une randonnée trop longue pour le temps dont on disposait, mais en plus on s’est débrouillés pour se gourer de départ en partant de Squaw Flat Campground au lieu d’Eléphant Hill. Non mais les gros boulets !!!!!
Passé le moment de honte, on hésite. Que fait-on ? Demi tour, ou bien essayons nous de rejoindre Chesler Park via notre route actuelle ?
Dans le doute nous décidons de continuer jusqu’à la prochaine intersection pour évaluer la distance. Une petite grimpette avec des cordes plus tard, on surplombe la roche. De l’autre côté, magnifique vue sur une sorte de prairie interne aux formations.
Un peu plus loin, on tombe simultanément sur un panneau et un groupe de jeunes. Comme le panneau ne nous apprend pas grand chose, j’interpelle les jeunes pour savoir où nous sommes exactement. M Pizza se marre comme une baleine car je leur tends le plan en prenant bien soin de cacher la partie Chesler Park du document (sur laquelle j’avais tracé le chemin à suivre en fluo) de peur que le groupe ne remarque notre bourde.
On se pose une nouvelle fois pour réfléchir. La route vers Chesler Park, de là où nous sommes nous semble décidément trop longue. Nous faisons donc demi-tour.
Du coup…on était partis à 13h, il est 14h quand on revient au parking…et 14h30 quand on part enfin d’Éléphant Hill, cette fois sur la bonne route ! Comme je dis à M Pizza : « on peut toujours commencer…et faire demi-tour au besoin ! »
…
Et qu’on ne me dise plus que je ne le fait jamais, je viens juste de le faire !
