Peu de métro, beaucoup de marche ce jour. Nous n’avons pas de programme défini, notre seule mission est de déambuler, à notre rythme, au peu au hasard des rues, entre le Millenium Park, la Buckinghman Fountain et le Chicago Board of Trade Building.
La météo oscillant entre le tristounet et l’intermittence des quelques rayons de soleil à travers les nuages nous convient car de ce fait, il fait nettement mois chaud que la veille, la balade est donc agréable.
Première étape, Millenium Park, il nous tarde d’aller jouer à cache-cache avec nos reflets sur les plaques d’acier inoxydable du célèbre Cloud. Pour cela, il convient de venir tôt en matinée afin d’éviter la foule. Ça tombe bien, il n’est même pas 9 h 00, nous sommes par conséquent tout plein d’espoir.
Nous tombons d’abord sur une belle œuvre, une fresque murale, sur 9 étages, en hommage à la légende du blues Muddy Waters (1913-1983) et réalisée en 2016, en seulement deux semaines, par l’artiste brésilien Eduardo Kobra, lors du Big Walls Festival, un festival de peintures murales.
Tout près, sur State Street, le Marshall Field Company Building abrite désormais le grand magasin Macy’s et à l’angle de State et de Randolph St ainsi que de State et de WashingtonSt. sont suspendues deux superbes horloges en bronze, les Marshall Field's clocks, d’un bleu-vert terriblement séduisant. Ma photo ne rend malheureusement pas du tout hommage à la flamboyante couleur des monuments. J’en apprendrai un peu sur ces horloges plus tard dans la journée…
La première horloge, celle de State/W ashington (ma photo) a été inaugurée en 1897 et la seconde horloge, State/Randolph, en 1907. Elles pèsent chacune près de 8 tonnes. Marshall Field avait remarqué que de nombreux chicagoans se donnaient rendez-vous à l’angle de ces rues très passantes, notamment des rendez-vous romantiques. Il eut alors d’idée d’en faire des lieux emblématiques et d’installer des horloges.
Le temps et les intempéries ayant dégradé ces trésors historiques, Macy’s prit en charge leur restauration et leur entretient au début des années 2000 et continuent de le faire encore aujourd’hui. Les aiguilles et les chiffres romains sont régulièrement repeints avec de l’huile noire épaisse et le système d’horlogerie est désormais relié à un satellite qui vérifie l’heure quatre fois par jour !
Au Chicago History Museum (que nous n’avons malheureusement pas visité), dans le hall de l’exposition Secret Lives of Objects, une peinture de Norman Rockwell réalisée le 3 novembre 1945 pour le The Saturday Evening Post, montre le réparateur remettant l’horloge à l’heure à l’aide de sa propre montre.
Je suis forcément de parti pris car j’adore Rockwell, mais cette illustration est splendide, je l’adore. Si vous êtes sages, je vous montrerai un jour l’œuvre numérique d’un artiste britannique, Jim de Jim’ll paint it, que j’ai achetée il y a deux ans et rendant hommage au célébrissime tableau de Rockwell Freedom from Want / I'll Be Home for Christmas (vous le connaissez forcément, il représente un repas de Thanksgiving) mais où tous les personnages autour de la table ont été remplacés par des héros de films de Noël ! (comprenez-moi, c’était le covid, j’avais besoin, de me faire un cadeau remonte-moral… ). Jim s’est spécialisé dans la culture pop, notamment le cinéma, et vend son travail sur divers supports (tee-shirt, impressions, puzzle, cartes, mugs…), j’aime bien ce qu’il fait, c’est décalé et très amusant.
Mais trêve de diversions et de pub gratos, revenons-en au sujet qui nous intéresse, Chicago :
Le Chicago Cultural Center, au 130 N. Garland Court, met en avant 20 femmes de la communauté artistique de Chicago sur une immense fresque murale de 40 mètres sur 30, Rushmore, réalisée par Kerry James Marshall en 2017. La liste des portraits est disponible sur le site officiel de la municipalité de Chicago. L’œuvre est difficile à photographier, d’autant plus quand il y a des camionnettes garées devant, c’est dommage mais sans doute inévitable.
Juste à côté, en voilà une qui semble moins courue que le taureau de Wall Street… Un peu plus de 1100 kg pour ce bronze qui depuis 2011 commémore la Chicago Cows on Parade. En 1999, 320 vaches en fibre de verre ont été ainsi pour ainsi dire éparpillées dans toute la ville, parmi elles, 100 ont été vendues aux enchères à des fins caritatives. Oprah Winfrey en a achetée trois, c’est tellement sympa en déco à côté du canap’. Une space cow se trouve par exemple au Musée des Sciences et de l’Industrie. Nous avons visité ce musée, et je vous avoue bien humblement que nous avons raté la vache de l’espace ! Quelque part, c’est dommage.
Vous vous demandez peut-être pourquoi la ville semble complètement accro aux vaches ? Il convient de se rappeler qu’en 1871, le grand incendie de Chicago, qui a ravagé 90% de la ville, serait dû à… une vache ayant rué sur une lampe à kérosène dans la ferme de la famille O'Leary au 137 DeKoven St (soyons précis). Cette hypothèse farfelue du journal Chicago Tribune, avancée immédiatement après le drame, n’est qu’une théorie parmi tant d’autres (météorite, alcoolisme supposé ou vengeance de Catherine O'Leary - en réalité, madame d’origine irlandaise et de confession catholique, a surtout servi de bouc émissaire) et a été aujourd’hui invalidée. Néanmoins la légende de la vache plaît encore et toujours...
Le Crain Communications Building, à l’allure si célèbre, au 150 N. Michigan Avenue. Il fut conçu par Sheldon Schlegman de A. Epstein & Son, construit en 1983 et inauguré un an plus tard.
Le CCB a deux surnoms, l’un attendu, l’autre plus coquin, et tous deux liés à la longue fente verticale séparant les deux parties du bâtiment (qu’on ne voit pas sur ma photo car elle se trouve de l’autre côté) : Diamond Building et Vagina Building.
La théorie du contre-pied supposé à la forme phallique des bâtiments classiques a été depuis longtemps démentie, mais j’imagine que c’est comme pour les fermières irlandaises de la fin du 19ème siècle et leurs vaches laitières, ça amuse encore la galerie !
Je ne me lasse pas de ce genre de points de vue (et puis je dois avoir un truc avec les horloges):
On se rapproche doucement du Millenium Park où Halloween se prépare.
Ça doit être vraiment sympa d’assister en été à un concert au Jay Pritzker Pavilion.
La lumineuse et changeante Crown Fountain devant laquelle une danseuse drapée d’ailes bleu flamboyantes surfe et voltige sur les gouttelettes, dessinant des arabesques pour le bonheur de son photographe personnel…
Il n’y a vraiment pas foule, profitons-en !
Avant
Après
De face
De dos
Les vues architecturales, on n’y fait pas assez souvent référence quand on parle de ce parc, sont également très chouettes.
Repérez le haut du fameux interstice du Crain
En zoomant un peu, vestige de « A. Sulka & Company, Shirts Makers New York London Paris », qui a fermé ses portes.
On devine à peine l’incroyable sommet tout d’or vêtu du Carbide and Carbon…
Le Petit Poucet a suivi la danseuse et s’est envolé, semant de gros cailloux non pas sur le chemin, mais dans les arbres…
Les lieux sont bucoliques et verdoyants même si le sauvage Lurie Garden semble dors et déjà en hibernation et peu fleuri.
Je garde si ce n’est le meilleur au moins le plus cocasse pour la fin : No bean today !
My love has gone away (…) But people passing by don't know the reason why (…) The end of my hopes, the end of all my dreams. How could they know the palace there had been.
Admettez qu’en sélectionnant bien les vers, ça fonctionne !
Voilà. Le Cloud est fermé pour travaux, et ce jusqu’au printemps 2024. Vous voilà prévenus, vous ne pourrez pas dire, comme je l'ai fait, que vous ne saviez pas. Rétrospectivement, après 9 jours et toutes les merveilles que nous avons pu découvrir à Chicago, Gizmo et moi sommes tombés d’accord sur un point : si un monument et un seul devait se fermer à nous, autant que ce fut-ce celui-ci, sans regret et see you next time Mister Bean !
Voici la seule et unique et non moins formidable photo que vous verrez du Cloud de tout notre séjour. Profitez-en, vous n’en verrez pas de pareilles avant longtemps, sauf si Stan, très en manque, pète un câble et décide subitement d’acheter un billet d’avion pour la Windy City demain matin à son réveil (dans ce cas comptez sur lui pour documenter la fermeture bien mieux que je ne pourrai jamais le faire, en partie car, pour ma part, je n’emprunte pas les accès fermés au public, même quand ils sont malencontreusement ouverts ). La classe internationale, photo ultime :
Nous continuons la balade jusqu’à l’attrayante Buckingham Fountain. Oui, encore une fontaine.
En raison du marathon qui doit se dérouler quatre jours plus tard, certains accès routiers et rues sont fermées ce qui est d’une part agréable car la promenade s’avère calme et qui d’autre part dote les photos d’un aspect, à mon sens, un peu irréel, ou à minima singulier. Chicago est quasiment vide, c’est vraiment très curieux.
Un peu de couleurs…
Un Français en vadrouille à vélo, probablement un marathonien inspectant l’itinéraire et faisant par la même occasion un peu de tourisme, passe par là. Gizmo se met à hurler sans crier gare « vive la France ! ». A peine ai-je le temps de me dire qu’il faut me cacher que je me rends compte que personne ne l’a entendu, un miracle !
A moins que l’attention des trois pelés et un tondu présents n’ait été court-circuitée par le venue d’un trio viking ?
Tandis que Gizmo remplit ses cartes SD de films, je continue de remplir mes propres cartes car ce lieu proche de la mer est très addictif. Quand un lac atteint une telle superficie, je pense qu’on devrait pouvoir parler d’une mer intérieure. Les lieux sont d’une telle grâce visuelle, ça en devient magique !
Allons voir la mer…
Au loin, au nord (gauche), Navy Pier et sa grande roue dont on reparlera plus tard, et au sud (à droite), le Planétarium qui avant même de prendre l’avion m’avait déjà ensorcelée, on en reparlera également… et au centre, vers l’infini, le Lac Michigan :
Retour sur la terre ferme…
Lys géant dans un jardin fantasmagorique…
Devinette du jour : pourquoi ai-je pris cette photo ? Je veux le titre du film.
Les deux indiens face à face, gardant l’entrée du pont enjambant la voie ferrée, et que je n’avais pas vus à l’aller…
On hésite sur le chemin à prendre. Tandis que Gizmo regarde la carte, je m’arrête net, guidée par le temps qui s’est suspendu, et je décide d’attendre le temps, Gizmo, de son côté, nous attendra tous les deux. Ce n’était nullement prémédité.
Le métro chemine au-dessus de ma tête au cœur de cette boucle sans fin ni début, le soleil rayonne sur un mural radieux aux couleurs chatoyantes m’indiquant le même chemin - celui du Loop. Mon regard est alors attiré par une autre fresque savamment dissimulée derrière un pilier de béton et je la soupçonne d’ailleurs, de ne se rendre visible que par intermittences, version Chicagoan de Brigadoon. Je tombe nez à nez avec un amusant sticker qui me fait marrer et là je vois… cette bibliothèque, je suis soufflée !
"A Penny for Your Thoughts !
For I know that your are dreaming :
Love’s little, wicked darts are sporting with your brain ;
A Penny for Your Thoughts !
Thro’ those eyes your heart is gleaming,
Longing to welcome back
The starry night again.
O’er the meadows thro’s the dew
You’ll wander there with I know who,
Fair are her wavy locks as vapors on the hill.
A penny for your thoughts !
On thy lips a smile beaming,
You’re sighing now for Jenny Dow,
That lives beyond the mill.”
(Stephen Foster, 1861)
Harold Washington Library Center, bâtisse post-moderne et néo-classique, de granit et de briques, et s’étendant sur près de 70 000 m2. Elle fut nommée ainsi en hommage à 51ème maire de Chicago (entre 1983 et 1987), Harold Washington, le tout premier maire de la ville d'origine afro-américaine. Son rêve était de doter Chicago d'une bibliothèque centrale. En 1991, le maire Richard M. Daley a réalisé le rêve de son prédécesseur. En 1993, on ajouta au toit, des structures ornementales en aluminium figurant des graines et symbolisant la richesse agricole de toute la région du Midwest. La chouette et le hibou grand-duc représentent quant à eux la sagesse et la connaissance, depuis la Grèce Antique.
Je suis persuadée que tous les livres rêvent de se rendre un jour en pèlerinage dans cette bibliothèque dont le sommet tutoie tous les rêves de l’humanité, assurer la survie de son corps et nourrir son âme. Ce fantastique bâtiment, au sens propre comme au sens figuré, illustre à la perfection la citation, que je pourrai lire plus tard lors de notre séjour, dans un autre lieu : « If you have a garden and a library, you have everything. » (Cicéron, -106 - -43).
Difficile après ça de relancer l’appareil moteur...
Quand faut y aller…
Un angoissant centre pénitentiaire, son architecture ne trompe pas sur la marchandise…
On rejoint le Rookery (le « nid de corbeaux »), par hasard. Conçu en 1887 par John Wellborn Root et Daniel Burnham, il s’agit de l’un des plus anciens buildings de Chicago. 12 étages, 55 mètres de hauteur, monument historique depuis 1970, de style architectural néo-roman, en acier, terre cuite et granite. L’intérieur est somptueux, marbre blanc, acier, balcon, patio central hyper lumineux avec une verrière…
Il se trouve être le magasin « coffre à jouet de Duncan » dans Home Alone II de Chris Columbus, et surtout le quartier général de l’agent Eliot Ness dans The Untouchables de Brian de Palma. On tente une entrée, tant pis si on se fait virer, on dira bonjour, merci, désolé, bye. Contre toute attente, nous sommes les bienvenues. Yesss !
On ne peut pas aller au-delà du hall d’entrée, mais c’est déjà énorme.
Possibilité de faire des visites guidées proposées par le Frank Lloyd Wright Trust, ce qu’on aurait dû faire ! C’est cela d’oublier ses devoirs avant le départ !
Et… les voici les voilà enfin, les bureaux de Bruce Wayne dans Batman Begins, aka Chicago Board of Trade Building.
Un faux-air du robot de Metropolis de Fritz Lang, le regard en moins...
Beaucoup d’émotion pour mon p’tit cœur car bien avant Christopher Nolan, il y a eu cela, qui m’a marquée à vie et qui me procure une joie chaque jour renouvelée depuis 1987 et toujours aussi intense :
Cette La Salle Street n’a pas fini de me faire frissonner.
On quitte les lieux, mais pas longtemps, disons que notre subconscient fera en sorte de nous faire tourner en rond afin de revenir au plus vite, rappelez-vous qu’il n’est que midi.
To be continued…