- « Mais alors Doc ? Toutes ces histoires sur les risques de modifier le futur, le continuum espace-temps ? »
- Ben ! Je me suis dit : On s'en balance ! »
Tout récemment, très poliment encouragée par Stan (si vous ne devez lire qu’un seul carnet de voyage sur Sunset, lisez le sien, Stan a repoussé les frontières du concept de « carnet de voyage » et a réinventé le genre), j’ai décidé de faire fi des conceptions de l’espace et du temps et de vous emmener avec moi à New York, dans le passé.
Mon carnet de voyage Ouest-USA 2013 est toujours sur le feu, tandis que ceux de 2016 et de 2018 ont été cryogénisés à l’état de têtards. J’espère bien les ressortir un jour du congélo pour les laisser vivre leur belle vie de carnets de voyage, j’attends juste que la science trouve un remède à la procrastination.
Donc oui, huit ans après, j’ose, et tout comme Doc, j’m’en balance ! Adieu scrupules, honte, et stériles tergiversations !
A la lecture de ces lignes et de celles qui vont illustrer mes douze belles journées de voyage, ne vous attendez donc pas à découvrir un New York à la pointe de l’actualité, voyez plutôt cela comme un voyage dans le temps, à la découverte du New York de 2014.
2014, pour moi, c’était avant-hier, mais à l’échelle de New York, 2014, c’est clairement un autre monde. New York a continué à se (re)construire et à se réinventer durant ces huit longues années, et certaines informations que je pourrais donner risquent bien d’être obsolètes… sans parler de la skyline qui a vu ses lignes se mouvoir dans l’espace, ni de toutes les boutiques qui ont dû, au pire fermer, au mieux déménager. Et les tarifs mes zamis, n’en parlons même pas ! Vous voilà prévenus.
Il va tout de même me falloir jouer les spéléologues dans les méandres de ma mémoire pour vous donner à lire un carnet cohérent et surtout vivant. 2014, ça a beau être avant-hier, soyons honnête, j’ai oublié le futile. Mais rassurez-vous car, si certains souvenirs se sont estompés, j’ai la mémoire des évènements et surtout des émotions. Ces dernières sont intactes, imprimées en moi ad-vitam æternam, et prêtes à ressurgir.
Ce séjour newyorkais, je l’ai fantasmé enfant et ado, devant mon petit écran et au cinéma. Puis, une fois jeune adulte, le rêve a commencé à transpirer dans le réel jusqu’à devenir un véritable projet. Mais j’ai pris mon temps, car d’une part je n’avais pas un rond pour voyager et d’autre part, quand j’ai réussi à économiser 3 francs 6 sous, j’ai d’abord fait ma valise pour l’Ecosse car je savais où je voulais aller (comme Joan, mais je n’ai pas perdu de robe de mariée dans les eaux tumultueuses au large l'île de Kiloran… cela dit, tout comme elle, j’y serais bien restée). D’autres destinations proches ont suivi avant de réaliser mon autre rêve, celui de Wild Wild West, que je pensais bien naïvement être un one-shot. Voir Monument Valley, Los Angeles, Zabriskie Point et le Golden Gate Bridge et le tour sera joué ! Oui mais non. Il fallait y retourner.
Ce n’est donc que le 25 décembre 2013 que j’ai décidé que New York allait recevoir ma visite tant attendue (ou l’inverse). Un cadeau de moi à moi.
Quelques mois de préparation (j’ai un sens de l’aventure dans l’inconnu hyper limité) et me voilà à faire ma check-list de valise (oui, je dresse une check-list de valise !) en vue de mon départ le 3 septembre.
Mais le 16 août 2014, pile-poil pour mon anniversaire, un certain Bárðarbunga s’invite à ma fête. Seulement quatre ans après Eyjafjallajökull, un autre volcan islandais au nom tout autant improbable et imprononçable, met toute la planète en alerte rouge. La terre tremble, et après quelques jours de tumulte, le 29 août, la bosse de Bárður (de son petit nom en français) entre en éruption et l’espace aérien est fermé. A ce moment-là de l’histoire, j’avais déjà arrêté de manger et de dormir. Pour couronner le tout, je reçois un appel téléphonique franchement non désiré qui me rend malade juste deux jours avant mon départ. Mais Isabel, qui comprend tout, et toujours avant tout le monde, sait précisément quoi me dire à ce moment-là et me remet sur les rails. Je ne la remercierais jamais assez. Isabel, si tu me lis…
Les vapeurs de Barracuda… la Marabunta… carabunga… (ou à peu près) cessent de gronder ou tout du moins de devenir gênantes, le ciel rouvre ses portes, je suis apaisée, ma valise est prête, go ! go ! go !
Aujourd’hui, quand j’ouvre mon live (j’ai parcouru mon live avant d’entamer ce carnet), je lis que mon vol a été crevant. Très honnêtement, je ne me rappelle plus pourquoi. Probablement que le fait de ne pas avoir ni mangé ni dormi pendant deux semaines avait dû mettre mon corps à dure épreuve. Parce qu’objectivement, de mon vol-aller KLM, je me souviens surtout :
- d’avoir un peu couru dans l’aéroport d’Amsterdam entre de jolies sculptures de tasses à thé géantes qui faisaient office de sièges (escale un peu courte, queue aux toilettes et donc de précieuses minutes grillées)
- de l’employé hollandais me demandant dans un anglais approximatif (à tel point que je n’avais rien compris) si j’avais bien rempli mon ESTA (eh mon gars, je viens de Lyon là, vaudrait mieux que j’aie mon ESTA !)
- de la distribution de bouffe toutes les heures durant le vol (j’exagère à peine, je me suis sentie comme une oie du Périgord)
- d’un brownie pas mauvais du tout
- des serviettes en éponge toutes chaudes et toutes douces après les repas
- et des marionnettes à doigt offertes par la compagnie à mes très jeunes et adorables voisins
Oui, j'ai des souvenirs hyper sélectifs.
Je me souviens aussi que le vol m’avait paru court. Bon… huit heures pour N.Y. contre douze pour L.A., de fait c’est plus court.
Je crois en revanche que je me souviendrai éternellement et avec précision de mon passage à l’immigration. Pas de queue, le hall est vide, les passagers ‘2nd time ESTA’ sont invités à passer sur les bornes automatiques. On (mon conjoint-de-toujours-futur-mari et moi) doit vraisemblablement faire partie du lot vue que nous avions déjà utilisé ce même ESTA un an plus tôt. Mais tout va trop vite, pas le temps de réagir, je ne fais pas marche arrière et je me retrouve devant deux guichets. A peine ai-je le temps de dire à Gizmo que la dame de droite ne m’inspire pas confiance du tout que Gizmo, très malin, part du coup directement à gauche tandis que moi, évidemment, je me retrouve devant madame qui n’avait pas mangé de clown pour le breakfast, c'est certain. Mais moi je me sens super bien, tout sourire, heureuse de me trouver là…
- « Hello ! » dis-je le ton enjoué, presque folâtre... peut-être vais-je la détendre quand elle verra que je suis sympa.
Et là, aucune réponse, juste un regard dur.
Gloups !
Je tends mon passeport, photo, empreintes, coup de tampon, elle me rend immédiatement mon passeport sans aucune question. Silence complet. L’opération a pris au moins 4 secondes et 2 centièmes. Comme une grosse nouille que je suis, j’ai le malheur de lui dire :
- « Thank you ! » Je suis un peu crispée tout de même.
Et là, elle me jette un regard sombre, vicieux… mal sain. A cet instant précis, j’ai pensé à ses rôles de matonnes nazis dans les films de série Z des années 70. Elle devait avoir un fouet caché sous son siège. Mais je m’en fous, j’ai mon passeport et mon tampon ! Elle ouvre la bouche et d’un ton monocorde vraiment effrayant me rétorque :
- « I'm just doing my job. »
Et moi de lui dire :
- « Bye ! » Non mais je suis trop conne, pourquoi est-ce que je lui dis ça ?! Tire-toi maintenant !
Bon, au moins, ce fut rapide.
On se retrouve en moins de temps qu’il ne faut pour le dire devant la file de taxis ou nous sommes encore tout seuls. A nous la vie newyorkaise !...
… mais pas tout de suite, le trajet est long… long… long… ça n’en finit pas. Travaux, embouteillages, et encore des travaux, et encore des embouteillages, et encore des embouteillages, et... Ça n’avance plus du tout, il fait une chaleur à crever et le vieux carrosse n’est pas climatisé. Puis d’un coup ça se débloque et le chauffeur nous prévient qu’il va faire un détour pour faire le plein (mais vas-y mon gars, fais ta vie, ça serait con de manquer d’essence en effet, mais par pitié, fais-vite !). Bien évidemment, je sais me tenir en société, je ne lui ai pas dit ça. On s’arrête donc dans une station près de Flushing Meadows et on sort même se dégourdir les jambes. L’image m’a marquée. Dans la mesure où je ne suis pas fan de tennis, allez savoir pourquoi… sans doute car à cet instant précis, je ne suis plus dans l'aéroport, mais à N.Y, pour de vrai. Qu'il fait chaud ! Mais que je suis bien !
On traverse un pont, je suis grisée, mais je ne l’identifie pas (Robert Kennedy en fait). Je découvre la skyline sur ma ligne d’horizon et à cet instant je me dis « mais merde ! ça y est, tu y es !!!! »
Notre hôtel (plus un appart’ qu’un hôtel, avec kitchenette) est situé au nord de Manhattan sur Lexington Avenue, tout près de Central Park, entre la 101ème et la 102ème, à East Harlem. Dans un monde idéal, j’aurais voulu loger un peu plus à Harlem même ou à Brooklyn, mais ça me semblait un peu éloigné pour un premier séjour. Je ne regrette pas mon choix (d’autant plus que l’appartement était parfait à tous les niveaux) et il n’est donc pas impossible que je ne retourne pas chez Bubba & Bean LA prochaine fois (oui, pas "une", mais LA).
On descend du taxi, encore secoué par les sensations de la découverte, first time in NY… on se retrouve sur le trottoir, devant une très jolie maison, la plus belle du quartier, il y a même des couronnes de bienvenue sur les portes. Mais c’est Noël les zamis ! La maison est ‘double’, à droite l’hôtel, à gauche la maison des patrons. On les prévient que nous sommes arrivés. Non, ils ne s’appellent pas Bubba et Bean (c’eut été un peu curieux tout de même), mais Jonathan & Clement. Bubba & Bean ce sont leurs chiens, et du coup, ça fait B&B Bed & Breakfast - jeu de mot ! Mon téléphone refuse de fonctionner sur l’instant. L’un d’eux (Jonathan ou Clement, je ne sais plus) nous aperçoit et vient nous accueillir. Il est prévenant et super sympa. Comme nous restons 11 nuits sur place, la 11ème nuit nous est offerte et en prime (et ça je l’ignorais), ils nous ont préparé la meilleure chambre, sorte de petit studio avec une grande terrasse privative ! Jamais je n’avais osé rêver d’un tel logement, on n’est clairement pas à l’hôtel, mais dans notre nouveau chez nous.
Il est 13 h 30. Nous avons atterri il y a tout juste deux heures. On s’installe tranquillement et on ressort une heure plus tard… en mode errance complet, au hasard des rues, en écoutant juste notre instinct, jusqu’à Central Park.
Mon cerveau est dans une telle ébullition, mes émotions ont atteint un tel paroxysme que j’absorbe absolument tout ce qui se présente, sans faire de tri. Les yeux grands ouverts je capte les couleurs, la lumière, les formes, chaque pavé, chaque brique, chaque buisson. Je hume toutes les odeurs, les stands des vendeurs de hot-dogs, les fleurs de Central Park et le parfum de la chaleur des rues newyorkaises commence à m’enivrer, au sens premier du terme. Les oreilles au garde à vue, je saute, je capture tous les sons en plein vol, la musique, les voitures, les sirènes, la foule, les marteaux piqueurs, les cris des enfants, les klaxons, absolument tous les bruits de la ville. Ma peau hyper réactive dont la ligne de défense laisse trop souvent à désirer est passée en mode radar et me transmet des milliards d’infos en même temps. Toutes les cellules de mon épiderme (vous vous souvenez des p’tits bonhommes aux têtes rigolotes dans Il Était une fois l’Homme ?), sont en train de faire une méga fiesta.
Quelle claque !
Chez Don Draper
Jacqueline Kennedy Onassis Reservoir
The Eldorado
Peu de photos ce premier jour, trop occupée que j’étais avec mon feu d’artifice intérieur.
Oui, nous étions en septembre et pas à juin. J'ai failli vous mettre Maybe September par Tony Bennett, mais c'était un poil trop nostalgique pour l'état d'esprit de cette folle journée sur ressorts. Donc faites abstraction de la saison, merci de votre compréhension :